Weak End

Posted by Antoine Delia on Tuesday, September 19, 2017

La nuit a été courte. Je ne sais même pas si je peux parler de nuit. Je me sentais comme dans le film Les Griffes de la nuit, effrayé de m’endormir et de me faire dévorer par mes cauchemars. Quand je n’étais pas en train de regarder la télévision, je restais allongé sur mon lit à contempler le plafond. Il y avait un abat-jour que j’ai toujours détesté, mais étrangement, il ne me dérangeait plus. C’était la seule chose qui donnait un peu de vie à la pièce. On ne pouvait plus compter sur moi pour ça. L’ampoule qui me servait de cœur s’était éteinte.

Comme à mon habitude, je me dirige vers la cuisine pour prendre mon petit-déjeuner. J’ai toujours été un grand gourmand et le repas du matin était essentiel pour que je puisse passer une bonne journée. J’ai toujours préféré le sucré au salé, et le premier repas de la journée n’y fait pas exception. Je tiens mon paquet de céréales d’une main et mon jus d’orange de l’autre lorsque je réalise que je n’ai pas faim. Ça m’aurait étonné, pensais-je. Alors que j’allais reposer la boîte de jus dans le frigo, je remarque la date inscrite sur le côté. Il est périmé depuis hier. Tout comme moi.

Le samedi est une journée que j’apprécie tout particulièrement. Je ne travaille pas ce jour-là et je peux passer du temps avec ma famille. J’adore les chouchouter et jouer avec eux. Laissez-moi vous les présenter. Tout d’abord il y a ma femme. Je ne vous ferais pas une description grotesque en vous disant que c’est la plus belle personne au monde ou bien qu’elle est très intelligente, non, certainement pas. C’est quelqu’un de tout à fait normal, et c’est ce qui m’a plu chez elle. Il n’y a pas eu de coup de foudre et, pour être franc, je pense que cela n’arrive que dans les dessins animés pour enfant. Notre amour s’est construit comme une maison, brique par brique. Il y a eu des accidents qui l’ont fait s’écrouler plus d’une fois, mais nous avons finalement posé la dernière brique le 15 avril 2007, lors de notre mariage. Depuis ce jour, elle est restée intacte, et le grand méchant loup aura beau souffler, elle ne se détruira plus jamais.

Ensuite, il y a notre petite fille chérie qui fêtera bientôt ses sept ans. On dit que c’est l’âge de raison où l’enfant découvre la notion de bien et de mal, de justice et d’injustice. Pour ma part, ce ne sont que des bêtises que l’on trouve dans les magazines pour futures mamans, écrites par des journalistes qui se la jouent psychologue. Depuis qu’elle est toute petite, elle passe son temps à étudier les fleurs. Il me semble qu’il y a un nom pour ça. Fleurophile ? Florizarre ? Chlorophylle ? Ça m’est sorti de l’esprit. Lorsque j’entrais dans sa chambre, je la surprenais toujours le nez dans un livre consacré à la flore. Sa fleur préférée est le lis martagon, allez savoir pourquoi. Pour son cinquième anniversaire, nous lui avions offert un herbier pour qu’elle puisse collecter toutes les fleurs qu’elle trouvera. Vous auriez dû voir sa tête. À peine eut-elle posée les mains sur le livre qu’elle s’est empressée d’aller dans le jardin et de récolter le plus de fleurs possible. Elle passait son temps à l’extérieur à la recherche de nouveaux trophées pour son “encyclopédie des fleurs” comme elle aime l’appeler.

De l’autre côté, vous avez son petit frère qui a tout juste cinq ans. Partir à la chasse aux fleurs ne l’intéresse pas le moins du monde, mais il sera ravi de vous les dessiner. Lorsqu’il ne dort pas, il passe presque tout son temps allongé dans le salon, armé de ses crayons de couleur, et s’applique pour faire le plus beau dessin du monde. Peu importe le chef-d’oeuvre qu’il sera en train de réaliser, il y aura toujours un soleil dans l’angle droit de la feuille. Je dois tout de même vous avouer que ses gribouillages sont de mieux en mieux. J’arrive presque à me reconnaître quand il me représente et je trouve ça plutôt ressemblant, même s’il aurait quand même pu me dessiner avec un peu plus de cheveux. Oui c’est vrai que j’ai un début de calvitie, mais je le vis très bien. Plutôt bien. Si vous jetez un coup d’œil au frigo, vous remarquerez que nous avons mis en avant ses deux plus beaux travaux : la famille se tenant devant la maison, et son autoportrait (sans oublier le soleil en coin).

Je ne pouvais rêver mieux comme famille. Nous sommes soudés et adorons passer du temps ensemble. Et en ce beau samedi de printemps, je pourrais partir en expédition avec eux dans la forêt que nous adorons. Nous pourrons nous amuser à nous courir après et à nous cacher dans l’immensité du bois. Mais c’est impossible. Parce qu’ils sont morts.


Que faites-vous le vendredi soir ? Je pense que je peux à peu près répondre à cette question pour vous. Après tout je ne vois que deux options : soit vous sortez faire la fête ou bien vous restez tranquillement chez vous devant votre télévision. Ce vendredi-là, j’avais opté pour le deuxième choix après une journée très stressante au travail. Au fait, vous ai-je dit ce que je fais dans la vie ? Enfin, ça n’a plus d’importance maintenant, car je n’y retournerai plus. J’étais donc tranquillement installé dans mon canapé en compagnie de ma charmante femme alors que les enfants, qui avaient préféré la première option, s’amusaient à l’anniversaire d’une amie de leur classe. Après tout, c’est le week-end. Ils ont bien le droit de s’amuser. Un peu après minuit, j’ai décidé d’aller les récupérer mais ma femme insista pour y aller à ma place afin de parler un peu avec la maman de l’amie de notre fille. Et je l’ai laissée y aller. Qui peut penser à ce moment-là que ce genre de décisions, si anodines soient-elles, auront des conséquences si importantes ? Et n’allez pas me parler d’effet papillon ou de je ne sais quelle autre connerie sur le destin, comme quoi cet accident était inévitable. J’aurais pu et dû insister pour y aller. Au lieu de ça j’ai préféré rester dans mon canapé en train de regarder un énième programme stupide du soir. J’étais sur le point de m’endormir lorsque le téléphone a sonné. Numéro inconnu. Qui peut bien appeler à une heure pareille ? Je pensais d’abord que c’était ma femme qui m’appelait, ce qui est assez idiot parce qu’elle avait son téléphone avec elle et son numéro aurait dû s’afficher. Connaissant la suite de l’histoire, j’aurais tout donné pour que ce soit elle afin d’entendre une dernière fois sa voix. Je sais que ça fait très cliché de dire ce genre de choses et je trouvais ça complètement ridicule quand des films utilisent ce genre de dialogue. Mais je comprends désormais. Une voix. Un regard. Un sourire. Enlevé à tout jamais. Ça vous détruit de l’intérieur.

Vous voulez que je vous dise le pire dans cette histoire ? C’est la manière dont ils sont morts. Un accident de voiture causé par un jeune homme qui avait trop bu, mais qui avait tout de même trouvé l’idée de conduire raisonnable. Après tout, il n’était qu’à cinq minutes de chez lui, il n’allait pas se tuer. Et il est effectivement resté en vie. Mais pas ma famille. Vous savez je ne suis pas quelqu’un de violent. L’idée de me battre contre une autre personne me fait peur et je ne supporte pas la vue du sang. Pourtant la seule chose que j’avais envie de faire après tout cela était d’aller rendre visite à ce jeune homme et de le frapper encore et encore jusqu’à ce qu’il soit inconscient. Mais à quoi bon ? Cela ne ramènerait pas ma famille d’entre les morts. Toutefois, il paraît que ce genre de réaction est tout à fait normal. J’avais lu quelques jours plus tôt qu’il existe cinq étapes lors d’un deuil : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et enfin l’acceptation. J’étais actuellement dans la quatrième phase et je pense en toute honnêteté que je n’en sortirai jamais. Comment pouvais-je accepter ce qui s’était passé ? Je n’en étais pas capable. Je décide alors de me rendre dans la forêt que ma famille et moi aimions tant dans le but d’oublier tout ça.


Le vent est froid ce matin. Le brouillard fait de ce bois une véritable scène de films d’horreur. J’aimerais qu’un monstre sorte de derrière un arbre pour me découper en morceaux, mais je sais que je ne serai pas aussi chanceux. Comme ma femme le disait si bien, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Ici ce sera très bien. Je m’arrête alors devant un arbre qui semble dominer les autres. Je pose une chaise que j’ai apportée à son pied et monte dessus après l’avoir bien stabilisée. J’ai également pris avec moi une corde dont j’avais pris soin de faire un nœud coulissant avant de venir. Je suppose que vous voyez où tout cela m’amène n’est-ce pas ? Tout est en place maintenant. Je regarde autour de moi avant de me lancer dans le saut vers l’inconnu. Tout me paraît fade et sans vie. Les couleurs sont parties pour laisser place à un spectacle des plus déprimants. Je me tourne alors vers la corde et je remarque que quelque chose cloche. Les couleurs paraissent plus vives à l’intérieur du nœud. Oui, c’est ça ! Le soleil brille de mille feux et éclaire les feuilles des arbres leur rendant ainsi leur vert naturel. Les écureuils sortent de leur trou et s’aventurent dans la forêt alors que les papillons me donnent un spectacle magnifique à la vue de leurs ailes colorées. Alors que je suis ébahi devant ce spectacle, je vois trois silhouettes s’avancer vers moi. Ce sont eux ! Ils ont l’air tellement heureux. J’entends leur rire d’ici. Ils se rapprochent encore et ils seront bientôt juste à côté de moi. “Mes chéris, papa est là” dis-je les larmes aux yeux. Je les ai retrouvés. Nous sommes enfin réunis pour toujours. Alors que je les serre contre moi, la chaise sur laquelle je me tiens vacille et tombe contre le sol, laissant ainsi cette forêt sans vie.