Last night a taxi saved my life

Posted by Antoine Delia on Sunday, December 9, 2018

Vous n’êtes peut-être pas sans savoir que j’ai effectué une escapade en Irlande il y a de cela deux ans, histoire que je vous ai contée dans un précédent article. Et aujourd’hui, pour fêter mon anniversaire, qui m’honore d’une vingt-deuxième année sur cette planète, je vais vous raconter une histoire qui s’est produite il y a exactement deux ans jour pour jour.

Remettons les choses dans leur contexte. Cela faisait environ deux mois que j’avais mis les pieds dans le pays de la Guinness. Je m’étais depuis fait quelques amis comme Julio et Samuel, deux étudiants brésiliens venus eux aussi en Irlande pour leurs études. Nous travaillions dans un centre de recherche rempli d’étudiants, et certains d’eux faisaient partie de notre cercle de connaissances. Plus les jours passèrent, plus nous étions proches, jusqu’à ce que nous décidions d’organiser une sortie en ville, ou plus précisément, un barathon. Cet événement avait lieu pour célébrer mon anniversaire ainsi que celui d’une étudiante irlandaise, partageant tous deux le 9 décembre comme jour de notre naissance.

Ainsi, le 8 décembre au soir, nous nous dirigeâmes vers le centre-ville pour commencer notre tournée des bars, vêtus de nos plus beaux pulls de Noël.

Il faut savoir que nous faisions un barathon un peu particulier. En effet, l’objectif était de consommer au moins une boisson dans 12 bars différents. Mais pour corser les choses, pour chaque bar, une règle différente devait s’appliquer.

Malheureusement pour vous, ma mémoire me fait défaut, et je ne me rappelle pas exactement de toutes les règles. Comme exemple, je peux vous citer une règle nous obligeant à échanger nos pulls entre nous, ou encore l’obligation de se prendre en photo avec un étranger. Mais ma règle préférée était celle interdisant de dire un mot commençant par P ou S. Cette règle particulièrement vicieuse vous empêchera de prononcer le mot pub, shot, she, mots employés très fréquemment. Pour chaque erreur, il faudra boire un autre shot, mais attention à ne pas dire I have to take another shot, car cela briserait la règle et vous devrez donc en boire deux. Rien qu’à la façon dont je vous la décris, vous devez déjà vous dire que je fus une terrible victime de cette règle, et vous auriez raison.

Mais finissons-en avec toutes ces règles et passons à mon histoire.

L’air était froid en cette nuit de décembre. Nous nous sommes d’abord retrouvés à la patinoire de Limerick afin de tester nos capacités à glisser sur la glace. Pour une première fois, je ne me débrouillais pas trop mal, même si j’étais loin de Philippe Candeloro. Mais tout ce cirque n’était qu’un avant-goût de la soirée, les petits-fours avant le plat de résistance. Et il était maintenant temps de nous diriger vers notre premier bar.

Pas grand monde à l’intérieur, mais cela ne nous dérangeait pas, nous étions une bonne vingtaine de personnes, et nous avions ainsi davantage de place pour nous. Je commençai cette folle soirée par une pinte de cidre, histoire de partir en douceur.

La soirée continua en douceur. Au bar numéro 7, un guitariste jouait quelques morceaux irlandais dans un bar où il n’y avait pratiquement personne. Je décidai de l’encourager en applaudissement à la fin de chaque chanson. Au moment de partir, je devais immortaliser notre rencontre, et pris un selfie avec ce chanteur qui je l’espère joue désormais devant un public plus volumineux qu’à l’époque.

Antoine Delia et un chanteur irlandais Si vous vous posez la question, oui, j’ai toujours ce pull dans mes placards

Les pubs s’enchaînèrent et je commençai à sentir les effets de l’alcool dans mon sang. Ma vue se troublait, ma démarche tanguait légèrement et je devenais l’ami de n’importe qui.

Nous arrivions ainsi à l’ultime bar, qui était en fait une boîte de nuit. Il devait être environ 1h du matin à ce moment-là. La plupart de mes collègues irlandais décidèrent de s’arrêter là pour la soirée et nous nous retrouvions à quatre à entrer dans le douzième endroit de la soirée.

Et puis, après seulement une heure à l’intérieur, la boîte ferma ses portes à deux heures du matin, chose tout à fait courante en Irlande de ce que j’en ai compris.

Me voilà donc à errer seul dans les rues de Limerick. Je ne pense désormais plus qu’à une chose : prendre le chemin de mon appartement pour pouvoir dormir. Car vous ne le savez pas, mais la soirée s’est déroulée le jeudi soir, ce qui signifie que je dois travailler le lendemain. J’arpente donc les ruelles sombres en essayant de retrouver mon chemin. Bientôt, je me retrouvais seul dans un endroit que je ne connaissais absolument pas. Je ne savais plus où aller, et aucune âme qui vive autour de moi ne pouvait me guider.

“Et si tu regardais sur Google Maps gros malin ! Tu serais immédiatement fixé.” Quelle bonne idée ! Je sortis mon téléphone de ma poche pour consulter ma position et voir dans quelle direction je devais me rendre.

“Niveau de batterie faible : 1%”. Et mon téléphone s’éteignit, sans que j’aie eu le temps de faire la moindre action. J’étais désormais sans téléphone, et je devais me débrouiller seul, chose qui m’arrivera une fois de plus quelques mois plus tard.

Je commençai doucement à réaliser la situation dans laquelle je me trouvais. Un étranger, seul, dans une rue inconnue, à deux heures du matin, sans aucune personne à l’horizon pour me venir en aide. Des frissons parcoururent mon corps tout entier. Mais je ne voulais pas perdre espoir.

Deux lumières vives avaient fait leur apparition au loin et se rapprochaient de plus en plus dans ma direction. “Une voiture, je suis sauvé !”  Je m’empressais de tendre mon bras, le poing serré et mon pouce levé, en priant pour qu’elle s’arrête. Mais elle continua sans route, sans même ralentir, et je la regardais s’éloigner au loin, impuissant. D’autres voitures passaient le long de ma route, mais l’histoire ne faisait que se répéter, et aucune d’elle ne daignait me laisser monter. J’en étais même venu à me mettre en plein milieu de la route pour forcer un contact avec un automobiliste, qui se contentait de m’éviter pour reprendre sa route.

Doucement mais sûrement, le désespoir prit de l’ampleur dans ma tête, et je me demandais quel serait le meilleur endroit pour passer la nuit. Sur le trottoir ? Trop dangereux. Dans les buissons ? Absolument pas confortable.

Alors que je réfléchissais à haute voix au meilleur moyen de dormir, une énième voiture s’approcha de moi. Instinctivement, je me remis à faire du stop en suppliant intérieurement le conducteur de s’arrêter, de me donner une chance. Hélas, je vis apparaître une lueur jaunâtre sur le dessus du véhicule arborant quatre lettres. TAXI. Il ne me restait que ma carte bleue dans les poches, et je savais bien pour l’avoir déjà vécu que les taxis d’ici n’acceptaient que des paiements en espèce. Je me résignai donc à baisser mon bras et à laisser passer cette voiture.

Mais elle s’arrêta à mon niveau, et la vitre du conducteur se baissa.

Taxi Quel sort me réserverait ce taxi ?

— Vous allez où ? me fit-il.
— Désolé, mais je n’ai pas d’argent sur moi, je n’ai que ma carte.
— Je ne t’ai pas demandé si tu avais de l’argent mais où tu allais.
— Euh… Au Thomond Village.
— À côte de l’université du LIT ? Ok, monte.
— Mais je n’ai pas de quoi payer.
— Monte je te dis.

À ce moment-là, je pensais honnêtement que j’allais être kidnappé, violé, coupé en petits morceaux, qu’on vendrait mes reins sur le marché noir et que mon corps dépecé finirait au fond de la rivière Shannon. J’étais toutefois à court d’options pour rentrer chez moi et je décidai imprudemment de monter côté passager dans ce taxi.

Il m’expliqua alors qu’il allait récupérer un autre jeune et qu’il devait le déposer non loin de l’université du LIT. Je n’étais pas vraiment à l’aise, mais je m’efforçai de faire la conversation du mieux que je pus. Il reconnut mon accent français et me demanda ce que je faisais en Irlande. Je lui racontais alors mon stage, ma soirée, le fait que c’était mon anniversaire ce soir. Il me souhaita alors un bon anniversaire. La scène était surréaliste. Mais à force de lui parler, mes craintes se dissipaient peu à peu, et il avait l’air assez sympathique.

Finalement, il déposa le jeune à l’université et fit un détour pour me ramener au bercail.

— Merci beaucoup, attendez je vais chercher de l’argent dans mon appartement et je reviens vous payer.
—T’en fais pas pour ça, c’est offert par la maison.
— Vous êtes sûr ?
— Mais oui c’est rien, c’est ton anniversaire après tout !

Je n’en revenais absolument pas. Quand j’y repense, il savait depuis le début que je n’avais pas de quoi payer, mais me voyant à l’abandon, seul et perdu dans les rues de Limerick, il avait pris comme décision de me venir en aide. Sans lui, je pense honnêtement que j’aurais dormi allongé contre le bitume en plein cœur de la ville.

Je ne connais pas le nom de cet ange gardien, mais aujourd’hui, après deux ans, je voudrais le remercier une fois de plus de m’avoir sorti d’une immense galère. C’est grâce à des gens comme lui que nous pouvons avoir foi en l’humanité.