Dernier Jour – Chapitre 9 (FIN)

Posted by Antoine Delia on Friday, November 2, 2018

Sur le sol de mon appartement, des bouteilles d’alcool se partageaient la place avec des dizaines de boîtes de pizzas. Les fenêtres étaient restées fermées depuis mon arrivée, et une odeur de renfermé empestait l’endroit.

Vingt jours que j’étais revenu d’Irlande et en si peu de temps, tout s’était écroulé autour de moi. Lily, qui était en fait une rédactrice pour un magazine de musique, avait publié un seul article à mon sujet racontant son agression. L’effet boule de neige qui en suivit fut désastreux. On l’interviewa à plusieurs reprises pour qu’elle puisse donner des détails sur notre rencontre et sur mon attaque, et au bout de quelques jours, elle apparaissait même en couverture de plusieurs magazines.

Elle me peignait un portrait d’homme troublé et perdu, et me faisait presque passer pour une victime. Évidemment, elle savait ce qu’elle faisait, et cette mascarade n’était qu’une autre de ses manipulations pour s’attirer la sympathie du public qui n’avait pas tardé à vivement réagir contre moi. Des centaines de lettres de menace s’entassaient dans ma boîte aux lettres, dont certaines m’avaient glacé le sang.

Face à cette controverse, mon label avait mis fin à mon contrat. Ma personnalité d’artiste était terminée, enterrée à tout jamais. J’eus beau envoyer des messages à tous mes contacts, aucun ne me répondit, même pas Steven, mon ancien manager. Ils me tournaient tous le dos, ne voulant pas être liés à l’homme violent et perturbé que j’étais devenu selon les médias.

La volonté de me défendre dans cette affaire m’a effleuré l’esprit, et j’avais facilement la possibilité de m’exprimer au vu des nombreuses demandes en interview que j’avais reçu noyées par les lettres de menace. Mais que pouvais-je bien dire ? Personne ne voulait entendre la vérité, bien trop satisfait de pouvoir descendre une personnalité du showbiz. Entre les questions pièges et mes propos qui auraient été repris hors de leur contexte, je n’aurais fait qu’alimenter la haine qui véhiculait autour de moi.

J’avais préféré rester dans le silence, me terrer au fond de mon trou, le temps de me faire oublier. Ma popularité était en chute libre, les ventes de mes albums s’écroulèrent et les fans se faisaient de plus en plus rares. La presse pensait que jamais je ne me relèverais d’un scandale pareil. J’avais pris ça comme un défi.

Des jours que j’étais resté enfermé dans cet appartement, à composer encore et encore. Mon objectif était de produire une dizaine de chansons aussi vite que possible. Et même en sachant que je ne pouvais plus les publier sans une maison de disque, je ne baissais pas les bras. L’alcool que je consommais sans aucune modération me consumait à petit feu, mais servait également de moteur à ma motivation. La sobriété aurait porté mon attention sur les futilités du monde extérieur quand je devais me concentrer sur mon travail, sur ma musique. Mais je subissais les conséquences de cette drogue, et je m’endormais souvent en plein milieu de mon travail, oubliant parfois même ma journée de la veille à mon réveil. Certains diront que j’étais devenu fou, d’autres dépressifs. Pour ma part, je me considérais à la limite entre ces deux états. Un pas de travers et je finissais en asile psychiatrique, tandis que de l’autre côté, le suicide m’attendait.

Mon téléphone reposait près de l’entrée, sur une large commode blanche qui prenait désormais la poussière. Il était resté là depuis mon retour et je n’osais pas le toucher. Quelques fois, je l’entendais sonner à tout rompre, essayant désespérément de me ramener à la réalité, tentative que je balayais par un autre verre d’alcool avant de me replonger dans ma composition. Il arrivera un moment où je n’aurais pas d’autres choix que de le consulter et de revenir dans la dure réalité de ce monde, d’affronter les terribles épreuves qui m’attendaient et d’enfin y faire face.

Mais ce n’était pas le moment d’y penser. Tout ce qui m’importait pour l’instant, c’était de terminer ce fichu album et de finalement passer à autre chose. J’avalai un autre verre et me replongeai dans mes notes de musique.

Article de presse du 17 juin 20XX
« Depuis son retour d’Irlande il y a de ça trois semaines, DJ Dawn, un des DJ les mieux payés de cette année, n’a fait aucune apparition publique, et ce malgré le scandale dont il est le principal sujet. En effet, ce jeune musicien de 28 ans aurait agressé la journaliste Lily-Rose Howell, rédactrice pour le magazine “Music Mania”. Dans une interview donnée pour le magazine “DJ Mag”, elle raconte sa rencontre avec l’artiste et son tempérament colérique : “Il s’est montré très agressif et j’ai plusieurs fois eu très peur qu’il s’en prenne physiquement à moi. Il m’a également menacé de me faire renvoyer en jouant avec ses contacts.” La journaliste affirme avoir tout de même voulu dénoncer le comportement du jeune homme qu’elle qualifie de “honteux”. Ce n’est pas la première fois qu’une telle affaire se produit, notamment dans le milieu de la musique où les stars se montrent parfois très agressives envers les journalistes. Dans un communiqué de presse paru quelques jours après les révélations de la journaliste, la maison de disque du DJ lui évoque ‘un tempérament capricieux’ avant d’annoncer la fin de son contrat. Personne ne sait aujourd’hui ce qu’il adviendra donc du célèbre DJ Dawn. Selon certaines rumeurs, celui-ci se serait reclus dans son appartement sans donner signe de vie depuis son retour aux États-Unis. »

— Il répond toujours pas ? Bordel mais qu’est-ce qu’il fout ?
Harold Munn représentait à merveille le stéréotype du milliardaire américain. Un ventre aussi gros que sa fortune, un bureau plus grand que n’importe quel appartement, sans oublier un cigare cubain qu’il avait entre ses lèvres.
— Je lui ai laissé plusieurs messages sur son répondeur Monsieur. Un courrier vient également de partir ce matin vers son appartement.
— Bien Sandy, merci. Reviens me voir quand tu as du nouveau.
La secrétaire s’éclipsa laissant Harold et James, son bras droit, seuls dans l’imposant bureau situé au 39e étage.

— Tu es sûr de ton coup ? lui fit James. Vu ce qu’on raconte sur lui, ce serait un mauvais coup de pub pour nous.
Harold se leva de son bureau pour se diriger vers une large armoire contenant diverses bouteilles aux couleurs brunâtres. Il attrapa un verre et se servit une rincée de whisky avant de répondre.

— Le nom de Lily-Rose Howell ne te dit rien ?
— Ça devrait ?
— Tu ne te rappelles pas l’article qu’elle avait écrit sur Billy Forrest ? Comme quoi il l’aurait agressé sexuellement ?
Il passa sa main sur sa barbe, comme pour mieux se remémorer.
— Non, je vois vraiment pas. Pourtant, un tel article sur Billy, je ne serais pas passé à côté, c’est quand même notre plus grande star.
— Alors c’est que j’ai bien fait mon boulot. Tu vois, cette fille voulait faire paraître cet article dans le journal pour lequel elle travaille. Lorsque j’ai appris la nouvelle, je l’ai immédiatement contacté. Cette salope me demandait un demi-million de dollars pour garder le silence.
James le regarda avec des yeux ronds.
— Tu ne lui as quand même pas donné tout cet argent ?
— Tu rigoles ou quoi ? C’était hors de question. Au lieu de ça, j’ai envoyé nos avocats directement chez elle. Faut croire que ça l’a calmé puisqu’elle n’a rien fait paraître sur notre Billy.

Harold but une gorgée de son nectar favori avant de reprendre une bouffée de son cigare. Il faisait les cent pas dans le bureau tout en racontant cette histoire à James.

— Après ça, j’ai demandé à Katie de jeter un œil aux articles de cette Lily-Rose pour m’assurer qu’elle ne publierait rien qui pourrait nous nuire. Et devine ce que j’ai appris ? Cette nana est surnommée “la briseuse de carrière”. C’est la reine des scandales. Elle en a fait tomber des dizaines comme ça, en mentant ou extrapolant des faits.
— Et pourquoi tu n’as rien fait pour l’arrêter ? Avec tout ce que tu savais sur elle, tu pouvais facilement lui mettre un procès au cul.
— Crois-moi j’ai essayé, mais concernant Billy, on n’a aucune preuve qu’elle prévoyait d’écrire un article diffamatoire. Mes avocats m’ont conseillé de garder ça sous silence.

James paraissait troublé par ce qu’Harold lui racontait. Il sortit un paquet de Malboro de sa veste de costume et s’en grilla une pour déstresser.

— Tu fumes encore ces merdes ? demanda Harold en ricanant. Tu devrais essayer les cigares, tu sais pas le bien fou que ça fait.
— Très peu pour moi, rien ne remplacera mes clopes. Alors tu veux récupérer ce Dawn chez nous, c’est ça ?
— Exactement. C’est évident que tous les ragots qu’on entend dans la presse ne sont que d’énormes conneries. Ce type ne ferait pas de mal à une mouche, il y a forcément quelque chose qui cloche.
— Ça je veux bien te croire, mais est-ce une raison pour le faire signer dans notre maison de disques ?

Harold finit son verre d’une traite et le posa sur son bureau avant de s’asseoir dans la chaise qui trônait à son bout.

— James, tu me déçois beaucoup. Si tu comptes prendre un jour ma place, il va falloir que tu te montres plus ambitieux. Ce gars-là a fini numéro sept du classement DJ Mag l’an dernier. Il fait complet à toutes ces dates. C’est une occasion en or, tu m’entends ?
— Figure-toi que j’ai fait mes recherches moi aussi. Il s’était engueulé avec son ancien label car il voulait changer de style de musique. Rien ne nous assure qu’il va autant cartonner que maintenant, c’est un énorme risque.
— Et bien qu’il change de style si ça lui chante. Ça pourrait même le propulser encore plus au sommet !

Sandy rentra en hâte dans le bureau alors que Harold allait s’allumer un deuxième cigare.

— Monsieur, désolé de débouler comme ça, mais…
— Ah Sandy ! Dites-moi que vous l’avez eu au téléphone !
— Non, Monsieur je regrette. Il y a un problème.
— Comment ça, un problème ?

Article de presse du 22 juin 20XX
« À 8h23 ce matin, le célèbre DJ Dawn a été retrouvé dans son appartement inconscient au milieu d’une dizaine de bouteilles d’alcool. Il a été transporté d’urgence à l’hôpital Bellevue où les médecins essaient en ce moment même de le réanimer. Nous ne savons pas encore s’il s’agit d’une tentative de suicide ; aucune lettre indiquant une telle tentative n’a été retrouvée dans son appartement. »

Article de presse du 24 juin 20XX
« Suite à l’annonce d’une possible tentative de suicide du célèbre DJ Dawn, plusieurs artistes sont sortis du silence et ont révélé les manipulations de la journaliste Lily-Rose Howell à leur encontre. Ronald Watson, le chanteur du groupe “Too Late To Tell” nous raconte : “Elle m’a envoyé un extrait d’un article qu’elle comptait publier où elle m’inventait une addiction à la méth. À l’époque, nous allions sortir notre nouvel album, et nous voulions éviter que de fausses rumeurs nous fassent de l’ombre. Elle nous a alors demandé 250’000$ pour acheter son silence. Nous avions accepté. Aujourd’hui, quand on voit ce qui s’est passé avec DJ Dawn, on ne peut plus se permettre de garder le silence.”
Cette annonce a ensuite provoqué un effet boule de neige, et de nombreux artistes se sont mis à raconter sur les réseaux sociaux leurs déboires avec la journaliste.
Alors que le public vouait une haine envers le DJ toujours retenu à l’hôpital, la tendance semble s’inverser alors que la journaliste reçoit des milliers de messages d’insultes sur son compte Twitter. Elle n’a pour l’heure pas encore répondu officiellement. »

Article de presse du 27 juin 20XX
« Près d’une semaine après la découverte du corps inanimé de la star DJ Dawn, nous apprenons aujourd’hui qu’il s’est réveillé du coma. Après plusieurs examens, les médecins sont “optimistes quant à son état”. Il devrait quitter l’hôpital d’ici quelques jours.
De son côté, la journaliste Lily-Rose Howell s’est exprimée sur son compte Twitter concernant l’affaire. Elle prétend qu’elle n’a “jamais fait de chantage” et qu’elle compte “porter plainte contre les internautes qui [la] menacent”. Entre-temps, le rappeur Lil’ Tongue et le chanteur Harry Miles ont également fait savoir les pratiques malhonnêtes de la journaliste à leur encontre et se sont entretenus avec leurs avocats respectifs pour réfléchir quant à la possibilité de porter plainte. »

— Bonsoir à tous et bienvenue dans votre émission du week-end, je suis Timothy Allen et vous regardez “What’s up people?!” Aujourd’hui nous recevons DJ Dawn, la superstar qui a passé des semaines incroyablement difficiles entre des dénonciations calomnieuses de la part d’une journaliste et son séjour de plusieurs jours à l’hôpital. Ce soir, il va tout nous raconter de son point de vue, je vous demande d’accueillir DJ Dawn !

Le public se leva et applaudit à tout rompre. Les projecteurs se braquèrent sur le rideau où j’étais censé faire mon apparition. Je fermais les yeux et prit une grande respiration avant de m’aventurer sur le plateau. Je pris la peine de saluer quelques personnes du public avant de m’asseoir dans le fauteuil plus que confortable placé juste à côté de l’hôte de la soirée. La nervosité que j’éprouvais d’être là devait sûrement se voir, mais je faisais de mon mieux pour paraître détendu.

— Bonsoir Timothy, merci de me recevoir.
— Avec plaisir Liam. Je peux vous appeler Liam ?
— C’est mon prénom alors vous avez le droit.
Le public éclata de rire. Je n’avais jamais compris les publics de ce genre de talk-show qui n’arrêtait pas d’accentuer leurs émotions. Ils ne peuvent pas simplement rire, ils se sentent obligés d’en faire des tonnes à chaque fois.
— Alors Liam, comment allez-vous depuis votre sortie de l’hôpital ?
— Plutôt bien. Je suis régulièrement suivi par un docteur et j’essaie de me remettre au sport petit à petit. Si vous saviez comment vos muscles vous lâchent en quelques jours d’inactivité.
— Je ne préfère pas savoir, merci bien, dit-il dans un éclat de rire, suivit de celui du public. De toute façon ce ne sont pas vos jambes qui importent, et la vraie question que tout le monde se pose est : allez-vous continuer la musique ?

Vais-je continuer la musique ? Combien de fois me suis-je posé la question ces dernières années ? J’ai trop longtemps douté de moi, ne sachant que faire. Mais aujourd’hui, une réponse claire et évidente s’affiche devant mes yeux.

— Absolument. Ce n’est pas un simple coma qui va m’arrêter. J’en finirai avec la musique lorsque je serai mort.
— Vous avez quand même failli y rester. Certaines rumeurs prétendent que c’était une tentative de suicide. Vous confirmez ?
En loge, des assistants m’avaient briffé sur les questions qui allaient être posées pour que je puisse préparer ma réponse. Malgré ça, je ne me sentais pas à l’aise de répondre à cette question.
— Non, je ne voulais pas me suicider, même si, à ce moment-là, j’étais dans une période très difficile. Mon contrat avec ma maison de disque a été arrêté, et je me suis retrouvé du jour au lendemain comme la personne à abattre. Alors oui, j’ai bu pour essayer de ne pas penser à ça mais je n’ai jamais voulu en arriver jusque là.
— La journaliste Lily-Rose Howell a fait l’objet d’un grand débat ces derniers jours. Il y a certaines personnes qui se rangent de son côté, d’autres pensent que ce n’est qu’une manipulatrice sans cœur. Vous qui l’avez fréquenté, quel est votre avis ?

Mes mains se cramponnèrent au fauteuil pour m’empêcher de tomber. Personne ne m’a dit qu’il y aurait une question sur elle, et j’étais complètement désemparé face à cet animateur qui devait se régaler de me voir dans cet état. Il m’était impossible de donner mon véritable avis sur cette fille pour ne pas provoquer une nouvelle vague de polémique, et pourtant, je ne savais quoi dire d’autre. Je sentais les yeux du public rivés sur moi, attendant impatiemment ma réponse. Il fallait que je me lance.

— Vous devez surement savoir que j’ai perdu mon père très jeune. Il était comme un modèle pour moi. C’est grâce à lui que je me suis intéressé à la musique et, rien que pour ça, je ne saurais jamais le remercier assez. Et vous savez… mon père… il a toujours fait en sorte que je devienne la meilleure personne que je puisse être. Et je me rappelle de cette phrase qu’il m’a dit quelques jours avant que je ne le perde à tout jamais. “Dans ce monde, il y aura toujours quelqu’un qui cherchera à te nuire. Tu ne peux pas changer ça. Ce que tu peux faire, c’est garder la tête haute et aller de l’avant. Ne laisse pas les autres te dicter comment tu dois être. Reste toi-même, quoi qu’il arrive.” Et c’est ce que j’essaie de faire, chaque jour depuis sa disparition. Alors oui, cette femme m’a fait beaucoup de tort, mais aujourd’hui, je préfère oublier tout ça et passer à autre chose. C’est ce que mon père aurait voulu.

Des larmes étaient venues se loger aux coins de mes yeux et je résistais tant bien que mal de me mettre à pleurer en direct. Le public était resté silencieux le long de mon discours et même le présentateur ne disait toujours rien. Au bout de ce qui semblait avoir duré une éternité, une personne dans la salle applaudit à un rythme lent avant d’être suivie par une, deux, trois personnes. Et avant de m’en rendre compte, le public applaudissait à tout rompre. Impuissant, je laissais couler les larmes le long de mes joues. Le présentateur annonça alors une page de publicité pour revenir dans cinq minutes et les applaudissements s’estompèrent, laissant place au silence.

— Putain de merde, t’as vu comment il a assuré ? On ne parle plus que de lui ! C’est surement le meilleur investissement de ma carrière !

Harold fanfaronnait dans la pièce depuis ce matin, au détriment de James qui commençait à en avoir plus qu’assez.

— C’est vrai qu’il s’en est bien tiré mais n’en rajoute pas non plus.
— Tu rigoles ou quoi ? Tout le monde l’adore maintenant. On lance son nouvel album et PAF ! Explosion des ventes !

James fuma sa cinquième cigarette de la matinée. Il n’était pas aussi enjoué que son patron, mais il ressentait tout de même une certaine excitation quant au futur de leur nouvelle star.

— Ouais, le temps qu’il nous ponde un album, l’engouement sera déjà retombé.
— C’est là que tu sous-estimes ce gars. Tu sais ce qu’il faisait dans son appartement avant de finir à l’hosto ? Ce malade produisait non-stop des chansons. Il m’a déjà envoyé une démo !

James en aurait presque laissé tomber sa cigarette. Un rapide calcul mental suffisait pour se rendre compte de la folie de ce type. En seulement 25 jours, il aurait déjà composé une dizaine de morceaux, soit un tous les deux jours. Il faut être soit passionné soit complètement fou pour réaliser un tel exploit.

— À ton avis, dit James, est-ce que ça te semble jouable de trouver des chanteurs au plus vite pour finaliser les morceaux ?
— Si on se montre réactif, n’importe quel chanteur sautera sur l’occasion pour apparaître à ses côtés.
— Bien, alors passe des appels au plus vite. Avec un peu de chance, on pourra sortir l’album avant les vacances d’été. Et là, ce sera un succès garanti.
— J’aime t’entendre dire ça mon petit James. Faisons en sorte de battre tous les records avec ce gars-là ! Au fait, tu sais qu’il va changer de nom ? Il ne veut plus porter son pseudo originel.
— Sans déconner, et alors c’est quoi son nouveau blaze ?

Article de presse du 13 juillet 20XX
« La scène électro a été secouée aujourd’hui avec la sortie inattendue du nouvel album de DJ Dawn sous son nouveau nom de scène Last Day. En quelques heures, il est devenu n°1 des tendances sur toutes les plateformes de streaming et de téléchargement. Les premières critiques sont plus qu’élogieuses et cet album a même été décrit comme “un futur classique” par le magazine “SoundSystem”.
Là où cet album a choqué tout le monde est par le retour aux sources de l’artiste à son genre musical de ses débuts. De plus, personne ne s’attendait à une sortie si soudaine, notamment après l’affaire Lily-Rose qui lui a valu un séjour de plusieurs jours à l’hôpital. Aux dernières nouvelles, l’ex-journaliste doit répondre de plusieurs plaintes portées par de nombreux artistes concernant des dénonciations calomnieuses et pourrait également être poursuivie pour délit de chantage. »

La dernière fois qu’un tel frisson avait parcouru mon corps devait être le jour de ma première montée sur scène. Je ressentais exactement la même chose aujourd’hui, pour ma première tournée son mon nouveau nom de scène. Mes poils se hérissaient, ma respiration s’accélérait, et il y avait en moi un mélange de peur et d’excitation qui ne me faisait pas tenir sur place. Et, en attendant patiemment que je prenne place derrière mes platines, je les entendais. Il m’était impossible de savoir combien de personnes étaient venues, mais le brouhaha qui s’élevait me faisait dire qu’ils étaient nombreux. Quelques minutes avant mon entrée, je ne pouvais m’empêcher de me poser tout un tas de questions. Y aura-t-il des anciens fans ? Vont-ils apprécier la musique que je vais leur jouer ?

Et l’heure arriva. Une technicienne me fit signe que je devais entrer en jeu. J’avançais doucement vers le devant de la scène pour finalement me retrouver face à la foule. Je croisai le regard de plusieurs personnes quand, d’un seul coup, des cris résonnèrent dans tous les sens et des flashs de téléphone portable s’illuminaient de tous côtés. Certains dansaient déjà, d’autres sautaient de joie. Il y en avait même qui brandissaient une pancarte avec mon nouveau nom de scène écrit au marqueur noir. Je parcourais la salle du regard et vis le jeune irlandais que j’avais croisé au bar lors de mes vacances. Comme promis, je lui avais envoyé une invitation spéciale pour qu’il puisse assister à un de mes concerts et à le voir sauter dans tous les sens, il semblait plus qu’heureux d’être ici.

La foule continuait de crier de joie alors que je n’avais toujours pas commencé à jouer. Mes yeux piquaient et une larme s’échappa pour venir se balader le long de ma joue.

Ma main pressa le bouton “Play” et le premier titre de mon nouvel album jaillit des enceintes, au plus grand bonheur des spectateurs.

Le spectacle pouvait commencer.