Dernier Jour – Chapitre 4

Posted by Antoine Delia on Wednesday, August 22, 2018

Cela devait bien faire une bonne dizaine d’années que je n’étais pas retourné dans mon pays natal. Et en contemplant le paysage à travers le hublot de l’avion, j’étais heureux de constater que tout était comme dans mes souvenirs. L’herbe verte dominait le territoire et de nombreux animaux profitaient de cette verdure pour gambader à loisir et manger à leur aise.

Le véritable seul point négatif que je trouvais à ce décor, c’était la pluie. J’avais beau avoir passé mon enfance trempé de la tête aux pieds, je n’ai jamais pu m’habituer à l’idée d’être mouillé. D’une part, parce que cela vous oblige soit à vous balader constamment avec un parapluie, soit à porter un affreux K-way, généralement d’une couleur flashy histoire de bien se faire remarquer. D’autre part, je ne connais pas une sensation plus désagréable que d’avoir les chaussettes trempées. Dès que je sens que mon pied est mouillé, je me mets à avoir un frisson d’horreur et cela me perturbe jusqu’au moment où je suis en mesure d’être pieds nus.

En descendant de l’avion, je consultai instinctivement mon téléphone, convaincu de trouver un paquet d’appels manqués. En effet, bien que cette idée de prendre des vacances vienne directement de mon manager, cela n’a pas particulièrement plu aux dirigeants du label qui ne l’entendaient pas de cette oreille. Steven m’avait donc conseillé de “faire le mort” pendant ces deux semaines, qu’il s’occuperait de tous ces emmerdeurs. Merci mon pote.

Dès la sortie de l’avion, je respirai une odeur d’herbe mouillée que je ne connaissais que trop bien. Il paraît que l’odorat a un rôle important sur nos souvenirs, et qu’un simple parfum peut vous ramener des années en arrière. J’en faisais les frais en ce moment même. En fermant les yeux, j’étais capable de me voir dans le jardin de mes parents à gambader avec toute l’énergie que dispose un enfant. Je revoyais ma mère à la fenêtre, toujours à l’affût pour voir s’il ne m’arrivait rien.

Elle a rejoint mon père il y a deux ans, à la suite d’un cancer des poumons. Son médecin avait beau lui dire que fumer un paquet de cigarettes par jour allait la tuer, ça ne l’a pas empêché de continuer. Une addiction, ça ne se perd pas du jour au lendemain, elle le savait bien. “Tout le monde meurt un jour ou l’autre me disait-elle, autant faire ce que l’on aime, sinon la vie serait un enfer.” Elle n’avait pas tout à fait tort au fond, mais j’aurais aimé l’avoir avec moi un peu plus longtemps. Pour me rassurer, je l’imagine heureuse aux côtés de mon père, l’écoutant jouer du piano, une cigarette à la main.

Après avoir attendu une éternité pour récupérer ma valise (qui est bien évidemment arrivée en dernière sur le tapis roulant), je parcourais maintenant les immenses halls de l’aéroport à la recherche de la sortie. Une fois dehors, je fis signe au taxi le plus proche que je voulais monter à bord. Le chauffeur sortit et s’avança vers moi.

— B’jour M’sieur, je vous emmène où ?
— A Dingle s’il vous plaît, lui répondis-je, tandis qu’il mettait ma valise dans le coffre.
— Dis donc c’est pas la porte à côté ça, z’êtes sur que vous voulez pas prendre un bus ? Enfin j’dis ça, c’est pour vous hein, moi ça me dérange pas mais ça va vous coûter une blinde.
— J’ai de quoi payer, si c’est ça qui vous inquiète.
J’attrapai mon portefeuille et l’ouvrit devant le chauffeur. Une ribambelle de billets de 50€ firent leur apparition.
— Bordel de merde, laissa échapper le conducteur, ça en fait du fric ça ! Montez mon gars, je vais pas vous laisser à la concurrence !

Le trajet avait duré un peu plus de trois heures et avait fait la joie de mon chauffeur. Il m’avait déposé à côté du pub Le Marina où j’avais passé la plupart de mes soirées en ville lorsque j’étais plus jeune. Je ne sais pas si cela était drôle ou terrifiant, mais c’était instinctivement le lieu que je lui ai donné pour qu’il m’y dépose. Je contemplai la voiture s’éloigner au loin et me retrouvais seul dans ma ville natale. Bon Dieu, que ça faisait bizarre.

Un rapide coup d’œil me fit comprendre que rien n’avait changé dans cette petite ville. C’était surement mieux comme ça. Je fis quelques pas, sans trop savoir où aller. Même si j’étais revenu pour me changer les idées, je n’avais même pas envisagé un plan de ce que j’allais faire ou quoi que ce soit dans le genre. J’errais donc dans les rues de Dingle, sans aucun but précis.

Après avoir fait le tour de la ville (et constaté qu’effectivement, tout était comme avant), je décidai de revenir à mon point de départ. Le soleil commençait à se coucher et je me disais qu’une pinte de Guinness serait la bienvenue. Je longeai le port pour admirer les quelques bateaux qui passaient la nuit ici quand j’entendis un bruit familier. Un son que j’avais dû entendre un bon millier de fois dans ma vie. Un bruit d’appareil photo.

Je cherchai du regard l’origine de ce son, toujours avec la certaine paranoïa que j’étais peut-être suivi par un journaliste ou un fan un peu trop collant. Là-bas, juste à côté de l’office de tourisme, se tenait une jeune femme, son appareil photo braqué sur ma tête. “Elle se gène pas cette connasse” pensais-je en me dirigeant vers elle.

— Hé ! Je peux savoir ce que vous faites ? lui dis-je, d’un ton sec.
— Pardon ? me répondit-elle, ses yeux toujours fixés sur son engin, totalement perdue dans ses photos.
— Vous vous prenez pour qui ? Vous croyez que c’est ok de venir me faire chier avec vos photos à cette heure-là ? Vous avez rien de mieux à faire ?

La jeune femme avait détourné le regard de son appareil pour me regarder droit dans les yeux.

— Mais qu’est-ce que vous me racontez, vous ? s’offusqua-t-elle.
— Faites pas l’innocente comme ça, je vous ai clairement vu avec votre putain d’appareil me prendre en photo. Pour la discrétion on repassera. Alors vous allez me faire le plaisir de foutre le camp, j’ai autre chose à faire que de m’occuper de fans collants.

Je pensais l’avoir mouché avec ma réponse, mais au lieu de ça, tout l’inverse se produisit.

— Mais vous êtes complètement taré vous, je m’en fous de votre petite gueule de con, j’étais en train de prendre le dauphin en photo.

L’évocation de ce dauphin m’arrêta dans mon élan. Je savais très bien de quoi elle parlait. Je me retournai pour voir l’évidence même. À côté de l’office du tourisme se trouve une statue en or d’un dauphin appelé Fungi. C’est un peu l’attraction de la ville, car il paraît que cet animal se serait pris d’affection pour le coin et aurait décidé d’y rester. Des excursions étaient organisées tous les jours avec comme promesse de vous faire voir le fameux dauphin qui se montrait assez souvent. Il était devenu la mascotte de la ville et il avait été décidé de faire monter une statue en son honneur, probablement dans le but d’attirer encore plus de touristes.

Et c’est ce dauphin que la jeune femme prenait en photo. Surement une touriste qui s’était émerveillée par cette histoire et qui voulait tranquillement ramener quelques photos souvenirs à sa famille. Et merde.

— Excusez-moi, vous devez surement me prendre pour un fou, mais j’ai vraiment cru que c’est moi que vous visiez. Je suis en vacances et j’aimerai être assez tranquille, vous comprenez ?
— Ça n’excuse en rien votre comportement, souligna-t-elle. C’est pas parce que vous êtes soi-disant connu que vous devez faire la diva comme ça. Vous êtes une star de quoi d’ailleurs ?
— Je préfère dire que je suis compositeur, mais mon vrai boulot c’est DJ.
— Et vous me faites une scène pareille alors que vous êtes un DJ ? SI vous étiez un acteur très connu je dis pas, mais là quand même vous y allez fort. Comme si ça m’intéressait de prendre en photo un type qui joue avec des platines !

Elle se foutait ouvertement de moi, mais je la laissais faire. Tant qu’elle n’était pas là pour m’emmerder, cela m’allait très bien.

— Dites, Monsieur le musicien, j’allais me prendre une bière au bar là, dit-elle en pointant du doigt Le Marina. Ça vous dirait de m’accompagner ? Je crois qu’une petite boisson vous ferait le plus grand bien !

Il y a deux minutes cette fille était une parfaite inconnue, et voilà que maintenant elle me proposait de boire un verre avec elle. Essayait-elle de se rapprocher de moi maintenant qu’elle savait que j’étais connu, ou est-ce que cette ouverture d’esprit faisait tout simplement partie de son caractère ?

Non, je réfléchissais surement beaucoup trop. J’étais en vacances après tout, et j’avais bien le droit de me détendre un peu après tout le travail de cette année. Les paroles de mon manager résonnaient dans ma tête : “tu vas où tu veux, tu fais ce que tu veux, mais bordel de merde détends-toi !” De sages paroles.

Cette fille était encore plantée là, à attendre ma réponse. Je n’allais tout de même pas rester seul tout le long de mon séjour. Et une fille qui vous propose d’aller boire un verre, ça ne risque pas de se reproduire tous les jours, surtout quand elle vous propose le pub que vous adoriez étant étudiant.

— Oui, vous avez raison, j’en ai bien besoin. Mais j’insiste pour vous payer la première tournée.

Elle sourit légèrement et se dirigea vers l’établissement. Je lui emboîtais le pas. Et, à cet instant précis, je réalisai soudain quelque chose. Je ne saurais dire si cela était dû à cette fille, à mon excitation de retourner dans ce pub, ou tout simplement au fait que je profitais enfin d’un peu de vacances, mais pour la première fois depuis des années, j’étais en train de sourire sans me forcer à le faire. J’étais naturellement heureux.