I have a dream (8/8)

Posted by Antoine Delia on Tuesday, May 1, 2018

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Assis dans cette chaise inconfortable de l’hôpital, j’attendais que l’on m’annonce si Sam allait s’en sortir. Mes mains étaient tellement moites que je devais me les essuyer chaque minute. Ma nervosité s’expliquait facilement : mon meilleur ami avait eu une fracture crânienne par ma faute, et je ne pouvais rien faire pour l’aider. Si jamais il ne s’en sortait pas, je ne savais même pas si je pourrais continuer à vivre. C’est dans ce genre de moments où nous sommes le plus vulnérables que l’on prend conscience de ce qui compte vraiment. Si seulement on pouvait s’en apercevoir plus tôt. Mais ainsi sommes-nous faits, à prendre pour acquises toutes les belles choses de la vie jusqu’à ce qu’elle décide d’y mettre un terme, sans prévenir. J’essayais par tous les moyens de ne pas y penser, mais les salles d’attente des hôpitaux n’ont rien de rassurant. En plus de voir défiler une ribambelle de personnes dans un état critique, vous êtes entourés d’affiches de sensibilisation vous rappelant le nombre de morts dû aux cancers, aux drogues et à la route. Une flopée de pourcentages macabres était désormais incrustée dans mon cerveau et je ne pensais plus qu’à ça. Et inutile de chercher le dernier Closer parmi les magazines proposés par l’hôpital pour se changer les idées. Vous êtes seuls avec vous-même pour ressasser ce qui vient d’arriver. Et c’était mon cas avec Sam. Je m’en voulais de ce qui lui était arrivé et chaque seconde me paraissait comme une torture.

Je me trouvais à quelques mètres de sa chambre où on essayait en ce moment d’établir son pronostic vital. Pendant ce temps-là, interdiction aux visiteurs d’entrer. J’étais obligé d’attendre patiemment qu’un docteur sorte et me dise les nouvelles – bonnes ou mauvaises. L’attente n’en finissait plus et au moment où j’allais m’assoupir, la porte s’ouvrit enfin. Je n’en crû pas mes yeux. C’était Sam.

« Alors mon pote, t’as cru que j’allais clamser ? Et non, on se débarrasse pas aussi facilement de moi ! »

Malgré ce qui s’était passé, il avait gardé son sens de l’humour. Et il m’apparaissait même plus grand et plus fort que je ne l’avais jamais connu. Comme si cet accident l’avait révélé, tel un papillon qui était sorti de sa chrysalide après avoir passé la majorité de sa vie à l’état de chenille.

Il s’approchait maintenant de moi en écartant les bras, m’invitant à lui faire un câlin. Mais alors qu’il s’avançait, j’avais l’impression de reculer, comme si j’étais sur un énorme tapis roulant qui me déplaçait en arrière, m’éloignant de plus en plus de Sam. Ce dernier courrait de plus en plus vite pour essayer de me rattraper mais il n’y avait rien à faire, et j’étais désormais si loin de lui que je ne le voyais plus.

Tout était noir autour de moi, et je me retrouvais assis, incapable de me mouvoir pour sortir de là. On aurait dit que mes membres étaient scotchés sur cette chaise, comme si j’étais pris en otage et que mon ravisseur m’avait attaché. Je pouvais tout juste tourner la tête pour voir ce qui m’attendait au bout de cet interminable tapis roulant sur lequel je reculais depuis tout à l’heure. J’apercevais derrière moi une silhouette aux allures angéliques qui m’attirait de par l’aura qu’elle dégageait. Cette unique source de lumière me confortait, m’apaisait. Tous mes muscles se relaxaient, et je sentais mon corps s’élever dans les airs, enfin libre de la chaise qui me retenait jusqu’alors. Dans cet espace toujours sombre et lugubre, je battais des bras, imitant du mieux que je pouvais le battement d’ailes d’un oiseau, en espérant pouvoir avancer vers cette forme lointaine qui m’attirait de plus en plus. Petit à petit, la distance qui nous séparait se réduisait, et je pouvais discerner un visage qui ressemblait à celui de Marie.

Je continuais alors d’avancer aussi vite que je le pouvais pour pouvoir prendre dans mes bras la femme que j’aime. Elle resplendissait avec cette lumière blanche qui provenait de derrière elle et plus j’avançais vers elle, plus sa luminosité augmentait, comme si la lumière se rapprochait. Au bout d’un moment, je discernais l’origine de cet éclat. Il s’agissait des deux phares d’une voiture qui roulait à pleine vitesse en direction de Marie. Pris de panique, je hurlais son nom pour qu’elle réagisse et qu’elle évite ce véhicule qui fonçait droit sur elle. Mais elle ne bougeait pas. Inconsciente du danger imminent, elle posait sur moi un regard bienveillant que je ne connaissais que trop bien. Rien ne pourrait éviter cette catastrophe. Impuissant, je sentais les larmes ruisseler le long de mes joues et comme mécanisme de défense, je décidai de fermer les yeux. Je ne voulais pas assister à un tel spectacle. Je me sentais trop faible. Pour une raison que j’ignore, je me suis remémoré ma première rencontre avec Marie. Tous les détails me revenaient en tête, de la tenue que je portais ce jour-là jusqu’à la météo du jour. Toute la scène se déroulait dans ma tête, mes yeux étant encore fermés, effrayés d’une possible collision avec cette voiture. J’étais devant ce lycée qui me paraissait plus imposant dans mes souvenirs qu’aujourd’hui. La foule d’élèves s’avançait avec paresse à l’intérieur – cela par contre n’a pas changé. Mes yeux scrutèrent la grille d’entrée et tombèrent sur elle, exactement à la même place, toujours aussi belle. Comme dans mes souvenirs, je progressais vers l’entrée, mes yeux rivés sur cette fille qui m’avait rendu fou. Elle était belle. La revoir dans cette situation me faisait retomber amoureux d’elle.

Comme dans mon souvenir, je m’avançais peureusement vers elle, intimidé par une telle beauté. J’allais presque l’atteindre quand mes jambes décidèrent de changer de direction et de m’amener à l’intérieur du lycée. « Qu’est-ce qui se passe ? » me dis-je. Mon corps ne répondait plus et s’avançait petit à petit vers la porte d’entrée du bâtiment. « Non non non je ne veux pas de ça, je veux voir Marie ! » pensais-je à haute voix, comme si cela allait changer quelque chose à la situation.

« MARIE !!! » Je hurlais à présent pour essayer de la faire réagir. Je ne pouvais pas passer à côté d’elle une deuxième fois, il fallait à tout prix que je lui parle, que je lui dise ce que j’avais sur le cœur. Je concentrai toute ma force dans mes jambes pour essayer de changer de cap et de rejoindre mon eldorado. Soulever mes pieds me paraissait impossible, j’avais l’impression qu’ils étaient attachés à des poids d’une tonne, me scotchant littéralement sur place.

À la vue de mon amour s’éloignant de plus en plus, une sensation de tristesse mélangée à de la colère jaillit en moi et j’arrachai mon pied droit du sol. Devant cette vision, j’esquissais un sourire nerveux de satisfaction : « j’ai réussi ! » Je le posais délicatement dans le sens opposé de ma marche, la pointe de mon pied faisant maintenant face au portail d’entrée où se trouvait Marie. Je plissais les yeux pour mieux percevoir mon objectif et, en prenant une grande inspiration, je levais l’autre pied sans aucune résistance. Rien ne pouvait m’arrêter désormais, j’en avais la certitude. Mes jambes se mirent à courir machinalement, obéissant sans doute aux pulsions envoyées tout droit de mon cerveau. Le visage de ma dulcinée prendrait bientôt forme devant moi, après tous ces efforts. Cette pensée s’arrêta brusquement lorsque je me pris les pieds dans un obstacle qui me fit tomber à terre, tête la première. Le choc avait été intense et mon front me faisait terriblement souffrir. En levant les, je constatai que devant moi se dressait maintenant deux Marie. Cette vision double s’estompa après quelques secondes et je me relevai péniblement. Une chaleur se répandait sur mon front et descendait peu à peu jusqu’à mon menton, tout en étant accompagnée d’une sensation d’humidité. En passant ma main dessus, je compris que cette chute avait été plus importante que je ne le pensais quand je vis ma main recouverte de sang.

Marie n’avait pas bougé d’un pouce depuis tout à l’heure, et continuait de fixer le sol bétonné de l’entrée, comme si elle y lisait quelque chose. Loin d’avoir perdu ma détermination, j’allais m’avancer vers elle pour la retrouver une bonne fois pour toutes quand je fus retenu par une main glaciale qui enveloppait mon bras. Ce froid me procura un frisson dans tout mon corps et je me retournai aussitôt pour apercevoir qui osait s’interposer entre Marie et moi. À peine avais-je eu le temps de tourner la tête que je reçus un coup de poing d’une force incroyable qui me cloua instantanément au sol.

« Je t’interdis de retourner la voir, tu m’entends ? »

Mes yeux s’écarquillèrent de surprise. Non, ce n’est pas possible. Cette voix. On était en train de se foutre de moi. Ma tête qui faisait face au sol pivota lentement, de peur de découvrir la terrible vérité sur mon agresseur.

« Tu… tu… Bordel de merde, tu es…
— Cette nana tu l’oublies, tu passes à autre chose. Moi vivant, tu ne la reverras plus jamais je peux te le promettre ! Capisce ? »

L’homme qui se tenait devant moi, qui m’interdisait de revoir Marie et qui m’avait au passage frappé au visage n’était autre que… moi-même. Étais-je en train de délirer à cause de mon front qui commençait à déverser un torrent de sang sur ma figure ? Quoi qu’il en soit une chose était sûre : je voulais revoir Marie et personne ne m’en empêcherait, qui que ce soit.

« Non pas capisce. Je sais pas qui t’es, mais moi je retourne la voir.
— Dis donc mais tu veux jouer les gros durs, c’est presque mignon, dit-il d’un ton moqueur. Mais c’est hors de question. »

Son visage était dur, fermé, et une certaine agressivité émanait de sa personne. Je ne me reconnaissais absolument pas dans cette vision de moi-même, et cela me terrifiait. Il s’approcha de moi, le regard presque méprisant, me prit par le pied, et commença à me tirer loin de Marie. Mon cerveau fonctionnait au ralenti et ma réactivité était en chute libre, tout comme ma force. Ma chute et ce coup de poing troublaient mes pensées et je ne savais plus comment réagir. C’était donc comme ça que tout allait se finir ? À passer mes jours loin du seul amour de ma vie ? Devant cette scène à la fois irréaliste et tragique, un souvenir lointain que je croyais oublié ressurgit devant mes yeux.


La sonnerie retentit et tous les élèves sortirent en hâte pour profiter de la récréation. Les nuages de la matinée s’étaient dissipés et le soleil régnait maintenant dans le ciel. Dehors, les enfants jouaient à toute sorte de jeux différents, il y en avait pour tous les goûts ! Certains avaient déballé leurs cartes Pokémon et les comparaient entre eux pour voir qui possédait la carte la plus rare. Plus loin, un groupe de filles s’entrainait à la corde à sauter, devant un public majoritairement masculin, fasciné par tant de dextérité. Au milieu de tout cela, un groupe jouait à chat dans toute la récré. Ils couraient tellement vite pour éviter de se faire toucher, que plus d’une fois les participants manquèrent de justesse de se rentrer dedans. Assise sur les marches, juste devant la porte d’entrée, la maîtresse lisait un magazine de mode, une cigarette à la main. Elle était jeune et surtout très coquette, tellement que presque tous les garçons en étaient amoureux. Certains jouaient les fayots en lui apportant des fleurs qu’ils avaient arrachées sans trop de minutie dans leur jardin. L’un d’entre eux avait passé des heures à chercher les plus belles fleurs et à préparer le plus beau bouquet pour elle, et, lorsque celle-ci lui avait accordé un sourire en guise de remerciement, ses joues avaient viré au rouge tomate et il avait arboré un sourire de benêt tout le reste de la journée. Tous ces élèves s’amusaient bien dehors et pendant ce temps-là, Sam et Thomas étaient restés à l’intérieur.

« Et là, le bonhomme arrive et tire sur la jolie fille ! Alors le héros devient super énervé contre le méchant et il lui saute dessus ! » Sam parlait à haute voix tout en dessinant avec minutie, case par case, les planches de sa nouvelle histoire. Les idées lui montaient à la tête tellement vite qu’il n’avait pas le temps de dessiner qu’une autre idée lui apparaissait déjà. Je le regardais avec admiration, car je savais que je ne serais jamais capable de réfléchir aussi vite que lui. J’en étais presque jaloux. À chaque récréation, au lieu de profiter du beau temps à l’extérieur et de jouer avec les autres élèves, Sam et moi nous isolions dans la salle de classe pour parler et avancer sur les bandes dessinées.  Enfin, je ne faisais pas grand-chose à par donner mon avis sur le travail de Sam (qui était presque tout le temps parfait). J’adorais voir la manière dont il racontait les histoires et je me plongeais avec régal dans chacune de ces nouvelles planches. Ma préférée était celle qui parlait d’un inventeur fou qui avait décidé de créer un parc d’attractions à l’intérieur d’un corps humain (ce qui montrait déjà mes penchants pour la biologie).

« Dis Sam, tu crois que tu vas dessiner toute ta vie ?
— Oh ben y a intérêt, le jour où je peux plus dessiner je préfère encore mourir ! Tiens, tu te rappelles la fois où j’ai eu mon plâtre ? Plus de bras droit et pourtant j’ai trouvé un moyen de continuer à dessiner ! »

Je m’en rappelais très bien. C’était lors d’une randonnée avec l’école où Sam s’était pris les pieds dans un rocher qu’il n’avait pas vu et il était retombé directement sur sa main droite. Résultat : poignet droit foulé, impossible d’écrire pendant trois mois. Et de dessiner par la même occasion. Lorsque le docteur lui avait annoncé cela, Sam n’avait pas bronché, au contraire. Il avait pris cela comme un défi. Ne disposant plus de sa main droite pour dessiner, il s’était entrainé sans relâche pour se débrouiller aussi bien avec sa main gauche. « Je vais devenir ambidextre, comme ça plus de problème ! » qu’il avait dit. Au final, il n’avait pas atteint un niveau égal à ce qu’il faisait d’habitude, mais une chose est sûre, il n’avait pas baissé les bras. Et lorsque le plâtre avait enfin été enlevé, il avait repris ses planches de plus belle, comme si rien ne s’était passé. Il m’avait impressionné. Je le trouvais tellement fort, tellement sûr de lui.

« Je comprends pas comment tu fais.
— Comment je fais quoi ? répondit Sam.
— Tu arrives à rester positif tout le temps et tu ne t’es jamais arrêté de dessiner, même quand tu avais un plâtre.
— C’est très simple ça Thomas, mon papa m’a dit que la vie sera jamais parfaite à 100% et qu’il y aura toujours des obstacles pour nous empêcher d’atteindre nos rêves. Il suffit juste de les affronter et petit à petit on arrive au bout ! C’est pas toujours facile, des fois les obstacles sont immenses et paraissent insurmontables. Mais il y a toujours un moyen d’y arriver, il faut juste s’en donner les moyens. Tu vois moi je veux à tout prix dessiner plus tard, et c’est pas un petit plâtre de rien du tout qui va m’en empêcher !
— Et si on te coupe les bras ?
— Eh bien j’apprendrai à dessiner avec les pieds ! Le plus important c’est de jamais laisser tomber les choses qu’on aime, de se battre jusqu’à notre dernier souffle. Sinon on sera malheureux toute notre vie. »


Ne jamais laisser tomber les choses qu’on aime, sinon on sera malheureux toute notre vie. Cette phrase était là, devant mes yeux, me montrant l’évidence. J’étais en contrôle de ma vie et je pouvais, non, je devais choisir ce que je voulais, et ne pas me laisser contrôler par des pensées noires qui ne feraient que m’éloigner de mon ultime rêve. Je n’avais pas à me laisser faire dans ce genre de situation, et même si j’étais faible, même si j’avais mal, je ne devais jamais, non, jamais abandonner. Des larmes s’échappèrent de mes yeux devant cette évidence que je n’avais su comprendre plus tôt.

Cette tristesse se transformait peu à peu en colère puis en rage qui commençait à se répandre dans tout mon corps et bientôt je deviendrai incontrôlable, poussé par mes réels désirs, rien ne m’arrêterait.

J’observai mon agresseur et je compris qui il était vraiment. Il représentait la partie de moi qui avait déjà abandonné. Cette face cachée de moi-même ne vivait que dans le désespoir, pensant que tout était fini et ne prenant même plus la peine d’essayer de faire changer les choses. J’avais agi de cette manière ces derniers jours, m’enfermant dans une boucle de pensées négatives et m’éloignant peu à peu de mon amour, puis de mon ami. Pourtant ce n’était pas l’homme que je voulais être et lorsque je compris cela, je savais qu’il ne me restait qu’une seule chose à faire.

D’un coup sec, je libérai mon pied des mains de mon agresseur pris au dépourvu par cette action inattendue, avant de me relever d’un bond et de courir à toute allure, sans réfléchir, ni me retourner. Mes jambes s’élançaient aussi loin que mon corps le pouvait pour mettre de la distance entre moi et mon désespoir. Des bruits de course parvinrent à mes oreilles me laissant deviner qu’il était à mes trousses et, à l’entendre, il gagnait du terrain. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine, pris d’une peur qui me donna un coup de boost phénoménal pour essayer de le semer. Je fermais les yeux comme pour me donner plus de courage et oublier la situation actuelle. Je prenais de grandes inspirations tout en continuant de faire le sprint de ma vie.

Les bruits de pas qui me précédaient se faisaient de plus en plus distants jusqu’à ne plus être audibles. Je ralentis ma course jusqu’à être immobile et lorsque j’étais sûr de n’être plus pourchassé, j’ouvris les yeux. Je n’étais plus à l’intérieur du lycée mais juste à côté de ma voiture, comme si tout s’était rembobiné. Je jetai un œil derrière moi pour m’assurer qu’il n’y avait bien personne et que je pouvais enfin souffler. Je repris mon souffle en m’appuyant sur le capot de ma voiture et constatai que les alentours étaient désormais déserts. Tous les lycéens s’étaient évaporés et il ne restait plus que moi et Marie, qui était toujours au même endroit que dans mes souvenirs. Je me ruai sur elle en hurlant son prénom. J’avais tellement attendu ce moment.

Elle regardait toujours le sol pour une raison qui m’échappait. Lorsque je fus à quelques mètres d’elle, je l’appelai une nouvelle fois. Aucune réponse. Ce n’est qu’une fois arrivé à côté d’elle que je compris son état : elle était en pleur. De quoi pouvait-elle bien pleurer ?

« Thomas… Je t’aime tellement…
— Marie ? Marie moi aussi je t’aime ! Je suis juste là !
— Si seulement tu étais encore avec moi… J’aurais dû empêcher ça, quelle conne !
— Marie de quoi est-ce que tu parles ? »

Je ne comprenais rien à ce qui se passait. C’était comme si elle me parlait mais qu’elle n’était en réalité pas avec moi. Dans un autre monde. Je ne savais pas comment attirer son attention, alors j’ai fait ce qui me semblait être le plus logique malgré mon état qui rendait mes pensées encore troubles.

« Marie je ne sais pas si tu m’entends, mais je dois te dire que je tiens à toi, du plus profond de mon être, je t’aime. Et ce ne sont pas juste des mots en l’air. Je n’ai pas été parfait je le reconnais et je me suis éloigné de toi. Tout ça je voudrais l’effacer, repartir à zéro avec toi. Je ne pourrais jamais vivre sans toi Marie, et je ferais tout ce qu’il faut pour que nous puissions nous donner une autre chance. S’il te plaît Marie dis-moi juste ce que je dois faire ! »

Marie leva la tête. Je ne m’attendais pas vraiment à ce que mon discours soit si efficace au point de la faire réagir alors qu’elle semblait ne pas pouvoir m’entendre. J’étais une nouvelle fois plongé dans ses yeux d’une beauté sans pareille, et je me sentais plus vivant que jamais. Sa bouche s’ouvrit légèrement et je restai pendu à ses lèvres, impatient de savoir ce qu’elle allait me dire.

« Thomas, ouvre les yeux. »


Mes paupières étaient lourdes et j’eus du mal à les ouvrir. Mes yeux étaient à peine ouverts et, malgré ma vue encore floue, je sentais la présence de quelqu’un auprès de moi. J’essayais de parler mais je n’avais pas assez de force pour prononcer le moindre mot. Peu à peu, je prenais conscience de mon corps, de mes muscles, de ma respiration. Si j’en croyais mon cerveau, j’avais l’impression d’être allongé sur le dos, les bras le long du corps. Je sentais une légère pression au niveau de ma main droite, comme si un objet lourd était posé juste au-dessus. Mes oreilles sifflaient telle une locomotive, impossible de savoir s’il y avait du bruit à l’endroit où je me trouvais. Mes yeux s’ouvrirent davantage sans pour autant avoir une meilleure vue que tout à l’heure. Derrière ma tête se trouvait une sorte de nuage chaud et doux sur lequel je me reposai. J’avais l’air d’être confortablement installé. Ma conscience revint de plus en vite et je compris qu’il s’agissait tout simplement d’un oreiller, non, de deux oreillers l’un sur l’autre pour me procurer une sensation de confort optimale. Ma vision était maintenant presque nette et je regardais autour de moi. J’étais allongé dans un grand lit avec des draps blancs et verts, comme ceux que l’on retrouve dans les hôpitaux. Mon regard se porta maintenant vers ma main droite qui ressentait une drôle de pression depuis tout à l’heure. Ma main était en fait enveloppée dans deux autres mains qui ne m’appartenaient pas. Je longeai le bras de la personne pour arriver jusqu’à sa tête et…

« Marie ? »

Elle se tourna vers moi instantanément. C’était bien elle, je ne m’étais pas trompé. De longs cernes se creusaient en bas de ses yeux et son teint me faisait deviner qu’elle n’avait pas dû beaucoup dormir depuis un moment. Malgré tout, je la trouvais toujours aussi resplendissante. Mais que faisait-elle ici avec moi ? Et où étais-je ?

« Thomas ! Tu es réveillé ! dit-elle, en échappant quelques larmes.
— Marie, je suis tellement content de te voir. »

Soudain, je réalisai que Sam avait eu un terrible accident de voiture par ma faute, et je ne savais même pas s’il allait bien.

« Sam, où est Sam ? dis-je, avec le peu de force que j’avais.
— Du calme mon chéri, tu viens tout juste de te réveiller.
— Comment ça me réveiller ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Tu ne te souviens pas ? Oh là là j’espère que tu n’es pas amnésique ! Ah ben non, tu te rappelles qui je suis. Si tu avais des problèmes de mémoire tu ne m’aurais même pas reconnu. Ça doit être le choc de l’accident alors, c’était quand même très violent même vu de l’extérieur, alors je n’imagine pas ce que ça a dû être. Et puis la voiture a fini dans un état je te raconte pas on aurait dit une boite de sardines, enfin un peu plus gros quand même, mais c’était pas beau à voir ! »

Sa longue tirade me confirmait bien que c’était Marie, il n’y avait qu’elle pour parler sans s’arrêter dans des moments comme ça. J’en profitais pour scruter la pièce avec plus d’attention et je compris que j’étais bel et bien dans un hôpital, la question était de savoir depuis combien de temps. En me voyant aussi perdu, elle comprit que je ne savais pas ce qui m’arrivait et changea de sujet :

« De quoi tu te souviens exactement Thomas ? »

Dans ma tête, j’essayai de rassembler tous les évènements qui s’étaient déroulés avant de me réveiller ici.

« Tu étais avec moi dans mon appartement. Ensuite, j’ai pris ma voiture et j’ai percuté celle de Sam. Il était inconscient alors je l’ai amené à l’hôpital. Et puis après… les choses sont assez floues. J’attendais dans la salle d’attente et je me suis retrouvé au lycée où j’enseigne. Et toi aussi tu étais là ! »

Marie m’écouta avec attention mais je sentais bien à son regard qu’elle ignorait tout de ce que je lui racontais. Lorsque j’eus fini de lui décrire la scène, elle m’expliqua ce qui s’était réellement passé.

J’avais bien eu cet accident de voiture avec Sam, toutefois, c’est moi qui suis devenu inconscient à la suite du choc. Je n’avais pas mis ma ceinture et ma tête avait heurté le pare-brise, me laissant la tête en sang. Sam allait bien, et après quelques vérifications avec les chirurgiens, il avait pu rentrer chez lui. Pour ma part, j’étais resté à l’hôpital pendant plusieurs jours, toujours inconscient. Marie était restée à mes côtés depuis le début. Elle voulait être avec moi pour me soutenir, même si je ne pouvais pas vraiment la voir. Sam était passé chaque jour pour voir comment j’allais. Il restait en général une heure ou deux et discutait avec Marie de l’accident, de mon état, si elle tenait le coup. Apparemment, il aurait également dessiné un « portrait » de moi derrière une feuille d’examen qu’il avait ensuite cachée sous mon oreiller, afin que je la découvre lorsque je serai réveillé.

J’écoutais avec attention tout ce que me disait Marie. Si je n’étais pas allongé dans un lit d’hôpital, j’aurais eu du mal à la croire tellement ce qui s’était passé dans ma tête me semblait vrai. Lorsqu’elle mentionna le dessin de Sam, j’eus le réflexe de bouger mon bras pour atteindre le dessous de mon oreiller afin de récupérer le dessin, mais rien que ce minuscule effort me faisait atrocement souffrir. En voyant ma détresse, Marie l’attrapa pour moi et me le tendit.

La feuille était pliée en deux mais je pouvais déjà voir à travers les esquisses au crayon de mon dessinateur préféré. D’un geste maladroit, j’ouvris la feuille en deux et contemplai le dessin. Une voiture rouge aux allures sportives venait de franchir une ligne d’arrivée avec en fond les bancs de supporters qui hurlaient à tout rompre. Les concurrents se trouvaient au fond de la piste, distancés de plusieurs dizaines de mètres par le numéro un. À travers la vitre de la voiture, on pouvait discerner le visage du pilote qui me ressemblait étrangement. En bas à droite de cette œuvre d’art, une phrase était inscrite :

Cette attention qui me touchait énormément me fit échapper un léger sourire et une larme en profita pour se déposer au coin de mon œil. Il me tardait de revoir mon meilleur ami pour le remercier de ce magnifique cadeau que je m’empresserai d’accrocher au mur lorsque je serai de retour chez moi.

Je posais la feuille sur ce qui semblait être une table de chevet d’hôpital et je me tournais vers Marie.

« Il faut que je te dise quelque chose. »

Elle me fixait avec attention, dans l’attente de ma phrase. Ses yeux brillaient de mille feux et me déconcentrèrent un court instant. Mon regard s’égara sur son ventre qui, bien qu’il n’était pas encore gonflé, protégeait déjà un enfant qui serait le nôtre. Je relevais la tête pour entrer en contact visuel avec elle. Je voulais lui dire à quel point j’avais été idiot ces derniers jours, que j’avais perdu les pédales avec mes histoires loufoques, et que je regrettais tout ce qui était arrivé. Je voulais qu’elle sache que je tenais à elle et que je donnerai tout pour être dans ses bras. Ma tête était en ébullition à la recherche d’un long discours à la fois romantique, authentique et honnête afin de racheter toutes mes erreurs. Après plusieurs secondes de réflexion et aucune idée, je décidais de prononcer les seuls mots qui me vinrent à l’esprit en la voyant là, devant moi, en enlevant ainsi tout le superflu.

« Je t’aime »

Pétrifiée pendant quelques secondes, elle s’effondra en larmes et se jeta sur moi pour me déposer un doux baiser.



« Tu vois bien que c’est pas droit là ! Penche-le plus à gauche ! »

Debout sur un escabeau, je tenais entre mes mains un tableau que j’essayais depuis tout à l’heure d’accrocher au mur. C’était sans compter sur Sam qui trouvait toujours que la peinture penchait, soit d’un côté, soit de l’autre.

« Et comme ça, il est bien ?
— Je crois que t’as besoin de lunettes mon gars. Là c’est clairement trop à gauche !
— Ça fait cinq minutes qu’il me paraît droit, c’est toi qui à la tête à l’envers ! »

Un début de dispute allait éclater avant d’être interrompu par une voix provenant de la pièce d’à côté.

« Les crêpes sont prêtes !
— Oh purée j’arrive, s’écria Sam en me laissant seul.
— Attends on n’a toujours pas fini avec le tableau, lui lançais-je avec détresse. »

Essayer de lutter contre l’appétit de Sam était peine perdue et je décidais donc de descendre de mon perchoir et de déposer le tableau contre le mur. J’observais autour de moi cette chambre qui commençait à prendre vie. Il faut dire qu’elle était complètement vide lors de notre arrivée : aucune peinture, aucun meuble, pas même un jouet pour divertir un enfant. Il nous a fallu plusieurs semaines de travaux pour tout repeindre et tout aménager, mais aujourd’hui, cette pièce est plus chaleureuse que jamais. J’appréciais tout particulièrement les posters qui étaient accrochés à différents endroits de la pièce. Tous étaient le résultat du travail de Sam qui avait dessiné de magnifiques paysages qui s’accordaient à merveille avec la couleur bleue des murs qui rappelait la couleur du ciel. On se serait presque cru en pleine nature. Je fus retiré de mes pensées par l’odeur somptueuse que mes narines étaient en train de sentir. Je devais me dépêcher ou il ne restera plus une crêpe pour moi.

« T’en as mis du temps papa ! Sam allait tout manger, mais je t’ai gardé deux crêpes.
— Heureusement que je peux compter sur toi ! »

Ce petit bout de chou qui me parlait et qui avait du chocolat sur toute la bouche n’était autre que mon fils de quatre ans. Il avait les yeux de sa mère et une chose était sûre, il allait faire tourner la tête de toutes les filles quand il sera plus grand, tout comme Marie m’avait rendu fou. Je m’approchai de la table et m’assis à la seule place de libre avec devant moi une assiette où étaient posées deux magnifiques crêpes. Il fallait maintenant que je fasse un choix crucial : allais-je prendre du sucre, de la confiture ou du chocolat ? Ma gourmandise me fit instantanément choisir le dernier, et ma main se jetait déjà sur le pot de pâte à tartiner qui était…vide. Je lançai un regard assassin à Sam qui était encore en train de se goinfrer d’une autre crêpe et lorsqu’il comprit que je le fusillais du regard, il s’arrêta de manger, la bouche encore pleine, et me regarda avec son air faussement innocent.

« Pas de souci, maman a prévu le coup ! Comme je savais que Sam serait là, j’ai acheté un autre pot en prévision. »

Marie sortit du placard un pot identique, à une différence importante : celui-ci était plein. Mes yeux ont dû s’émerveiller devant cette nouvelle, car lorsqu’elle me regarda, elle échappa un petit rire.

« Au fait, je sais qu’il est un peu tôt, mais je voulais quand même célébrer cette journée, dit Sam en se levant pour rejoindre le placard à côté de l’entrée.
— Qu’est-ce que t’as encore prévu comme bêtise ? lui lançais-je.
— Attention les yeux, TADA ! »

Il portait entre ses mains une bouteille de champagne Don Pérignon qu’il avait sans doute ramenée en cachette. Sans trop m’y connaitre en champagne, je savais que ce genre de bouteille pouvait être extrêmement chère.

« Mais t’es complètement fou Sam !
— Oh ça va, quel rabat-joie ! Il faut bien fêter votre nouvelle maison, pas vrai ? Et puis j’avais pas envie d’attendre que vous fassiez une pendaison de crémaillère pour célébrer ça, alors vous allez me faire le plaisir de goûter cette merveille !
— Oh oui moi j’en veux, j’en veux ! s’exclama le petit garçon.
— Ah non, interdit. Pour toi j’ai prévu du jus de pomme qui pique ! »

Je n’étais pas trop fan à l’idée d’une coupe de champagne à l’heure du goûter, mais après tout, il faut bien se faire plaisir de temps en temps. Et puis, c’est vrai que c’est une occasion particulière aujourd’hui. Nous avions acheté cette maison il y a de cela quelques mois déjà, mais c’est seulement aujourd’hui que tous les travaux étaient terminés et que nous pouvions enfin appeler cette maison « chez nous ».

« Alors p’tit gars, t’es prêt ? Je vais ouvrir la bouteille ça va faire POUM ! »

Sam ouvrit la baie vitrée du salon pour rejoindre la terrasse extérieure sous le regard émerveillé de mon fils qui n’attendait qu’une chose : le bruit que produirait l’explosion de la bouteille. Pendant ce temps, je déplaçais ma chaise pour me retrouver à côté de Marie.

« Alors, tu en penses quoi ? me demanda-t-elle.
— C’était super bon ça c’est sûr, surtout avec une touche de chocolat, miam, un véritable délice !
— Je ne te parle pas des crêpes gros malin ! Je voulais dire la maison, comment tu la trouves, maintenant que tout est fini ?
— C’est vrai que je pensais que c’était une mauvaise idée avec tous ces travaux. Mais au final ce n’était pas si compliqué que ça, et je la trouve resplendissante ! »

POUM

« OUAH ! TROP BIEN !!!
— T’as vu ça un peu ? Le bouchon est parti jusque dans l’espace ! se réjouit Sam. Allez honneur aux filles, Marie tu me passes ton verre ?
— Malheureusement je ne vais pas pouvoir goûter de cette merveille Sam, répondit-elle en se passant une main sur le ventre.
— Oh oui, j’avais oublié. Alors ce sera jus de pomme pour toi aussi ! »

Les verres se remplirent un à un autour de la table dans la joie et la bonne humeur. Nous n’étions pas nombreux, mais cela nous suffisait pour passer un bon moment. Nous levions nos verres avant de les faire s’entrechoquer. Notre fils avait le sourire jusqu’aux oreilles d’avoir pu découvrir sa nouvelle maison. Sam rigolait de bon cœur en trinquant avec nous, toujours avec autant de positivité. Marie me regardait avec amour de ses yeux ravageurs. Quant à moi, mon regard était braqué avec rêverie sur la bague qu’elle portait à la main.