I have a dream (5/8)

Posted by Antoine Delia on Friday, January 5, 2018

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La neige s’était arrêtée de tomber. Dehors, on pouvait entendre des enfants s’amusant avec la neige. Parmi eux, on trouvait une petite fille d’environ six ans qui portait un énorme manteau orange accompagné de bottines violettes. On trouvait d’épaisses lunettes rouges posées sur son nez, et sur sa tête un bonnet marron laissant dépasser une natte blonde. Au bout de ses mains, il y avait des gants qui paraissaient être trois fois trop grands pour elle. Depuis plusieurs minutes maintenant, elle s’attelait à la réalisation d’un bonhomme de neige. Elle commença par la partie du bas en regroupant un maximum de neige possible afin d’avoir un corps assez gros pour pouvoir supporter les deux autres parties. Alors, elle prit soin de faire une deuxième boule, beaucoup plus fine que la précédente, et la déposa juste au-dessus. Il ne lui restait maintenant plus qu’à faire la tête pour terminer son bonhomme de neige. Elle rassembla une fois de plus assez de neige pour former une forme bien ronde et solide avant de la poser en tout en haut de sa construction. La structure était maintenant terminée et il ne restait plus qu’à agrémenter ce bonhomme de divers accessoires afin de le rendre plus vivant. Au sol, il y avait quelques branches que les tilleuls avaient laissé tomber, trop fatigués par le froid pour les maintenir accrochées. Elle récupéra plein de branches avant de choisir les deux plus jolies qui constitueraient les bras de son personnage. Les cailloux allaient avoir droit au même sort afin de déterminer lesquels seraient parfaits pour former les yeux de la statue de neige, le reste des pierres seraient utilisées pour former son sourire. Pour la touche finale, la petite fille ôta son bonnet et le plaça sur la tête de son nouvel ami qui paraissait désormais plus vrai que nature à ses yeux. Elle affichait un sourire de gagnante au vu de ce qu’elle avait réalisé, et les sauts de joie qu’elle faisait montraient bien qu’elle n’en était pas peu fière.

Pendant qu’elle continuait d’exprimer sa joie en faisant le tour de son nouvel ami, d’autres enfants s’adonnaient à une bataille de boule de neige endiablée. Des projectiles fusaient de part et d’autre de la rue et personne n’était à l’abri de se prendre une boule de neige dans la figure. Personne.


Lorsque Rémi avait ramené son bulletin du premier trimestre à ses parents, ces derniers avaient changé de couleur jusqu’à atteindre un rouge aussi écarlate que celui de la tenue du père Noël, qu’il n’était d’ailleurs pas près d’entendre parler cette année. Il était entré en sixième à la rentrée et ce que l’on pouvait dire c’est que cela ne lui réussissait pas trop, d’autant qu’il ne passait pas inaperçu avec ses cheveux roux et son mètre soixante. Il avait eu des mauvaises notes dans presque toutes les matières sauf en sport, ou éducation physique et sportive comme le rabâchait leur professeur, Monsieur Groudeau. Ce dernier était un homme assez petit d’une cinquantaine d’années. Il avait un ventre des plus imposants, à se demander s’il avait été sportif dans sa vie et Rémi eut du mal à croire que cet homme allait lui apprendre quoi que ce soit sur le sport. Pourtant, ce dernier lui avait prouvé le contraire. Ils commencèrent l’année avec du baseball ce qui avait étonné Rémi, car ce n’était pas vraiment une activité très populaire en France. Pour leur première séance, les élèves apprirent les règles de base de ce sport très américain. Au final c’était assez simple : on lance une balle et l’équipe adverse doit frapper avec une batte pour l’envoyer le plus loin possible. Un jeu d’enfants. Lors du premier entraînement, tout le monde voulait avoir le poste de batteur et essayer de propulser la balle hors du terrain tel un pro. Rémi se retrouva alors en position de lanceur avec pour seule consigne d’envoyer la balle vers le batteur aussi fort qu’il le pouvait. Rémi se sentait alors comme les superhéros qu’on pouvait voir dans les dessins animés, comme si le destin de la Terre entière reposait sur cette balle qu’il tenait de la main droite. Il posa son pied gauche en avant et recula son bras droit pour prendre de l’élan. On aurait dit qu’il essayait d’accumuler toute la force de son corps dans sa main. Ses yeux étaient plissés, concentrés sur l’objectif. D’un coup sec, il bascula son corps en avant et tendit son bras droit, relâchant la balle au tout dernier moment. Le projectile parcourut le terrain et le batteur n’eut même pas le temps de frapper que la balle avait déjà atterri dans le gant du receveur. Monsieur Groudeau n’en revenait pas. En vingt ans de carrière, c’est la première fois qu’il vit un lancer aussi fort, rapide et précis. Ainsi donc, à chaque entraînement, tout le monde se battait pour avoir Rémi dans son équipe et battre à plate couture le groupe adverse. Ce dernier était très fier de ses résultats en baseball, ce qui n’était pas vraiment le cas de ses parents qui auraient préféré qu’il se passionne pour les mathématiques ou le français. Rémi était censé être puni aujourd’hui et réviser ses leçons pour les contrôles de la rentrée, mais il ne l’entendait pas de cette oreille. En toute discrétion, il avait quitté la maison de ses parents pour aller jouer dans la neige avec ses amis du collège. Ils décidèrent naturellement de se lancer dans une partie de bataille de boule de neige, en sachant que Rémi serait un adversaire redoutable. Ils s’étaient mis à trois contre un et malgré cela, le combat n’était pas équitable. Il ne fit qu’une bouchée de ses opposants en les bombardant sans arrêt, sans leur laisser une minute de répit.


La petite fille n’avait pas vu les garçons jouer non loin d’elle. Elle ne remarqua pas que ce grand roux venait de prendre une énorme boule de neige dans la main pour la lancer sur son ami. Elle ne vit pas non plus que la personne visée avait esquivé de justesse le projectile, qui se dirigeait maintenant tout droit vers elle. La boule de neige se fracassa contre la tête du bonhomme de neige avec tellement de force qu’elle la fit tomber, le décapitant. La petite fille regarda avec horreur la tête de son compagnon qui gisait maintenant sur le sol, sans vie. Elle se mit à hurler de tristesse, un torrent de larmes coulant sur ses joues roses.

Elle venait de perdre son ami.


Je venais de perdre mon ami.

C’est la première fois de ma vie que je ressentais un vide dans mon cœur, comme si celui-ci ne voulait plus fonctionner. Ainsi, le sang ne circulait plus correctement à l’intérieur de mon corps. Je ne sentais plus mes muscles et ma tête s’était tellement vidée que j’étais en train de faire la plus grosse bêtise de toute ma vie. Mes larmes avaient séché sur mes joues alors que je consultais une dernière fois le livre de la bibliothèque avant de quitter ce monde une bonne fois pour toutes. J’espérais à tout prix que ce qui était marqué à l’intérieur était vrai, car je ne pourrais vivre une seconde de plus dans cet endroit où tout le monde me tournait le dos. À force de l’avoir lu, je connaissais maintenant toutes les techniques propices à la réalisation d’un rêve lucide inscrites à l’intérieur. J’étais prêt à quitter ce monde pour en rejoindre un où je pourrais enfin être heureux.

Je rejoignis mon lit et m’allongea sur le dos. J’étais encore fatigué de la soirée avec Sam et il ne serait donc pas difficile de trouver le sommeil. Avant de fermer les yeux, je regardais une dernière fois cette chambre où j’avais un jour connu la joie d’être avec la plus belle femme du monde. Tous nos souvenirs ressurgirent d’un seul coup : la première fois que nous avions fait l’amour dans ce lit, nos fous rires sous la couette un dimanche matin, nos querelles aussi explosives que brèves. Je repensai alors à la dernière fois que Marie était dans cette pièce.


C’était un vendredi matin. On pouvait déjà entendre les oiseaux chanter dehors alors que le soleil n’avait pas encore pointé le bout de son nez. Je me rappelle qu’il neigeait particulièrement fort cette journée et en regardant à travers la vitre de mon appartement, je faisais face à un paysage d’une pureté incomparable. Marie était allongée près de moi, son bras gauche sur mon torse. Délicatement, je m’extrayais de son emprise divine pour rejoindre la salle à manger et préparer son petit-déjeuner préféré : deux tranches de pain grillées bien beurrées avec une pointe de confiture à l’abricot, accompagnées d’un thé de Noël avec deux sucres, ni plus, ni moins. À peine suis-je entré dans la chambre, muni de ce goûter digne d’une reine, que Marie se réveilla, comme sortie d’un long sommeil par l’odeur alléchante du pain encore chaud et de l’arôme qui s’évadait de la tasse de thé. En voyant que je lui apportais cela, tel un servant portant une offrande à sa déesse, elle échappa un petit bruit de tendresse, manifestement touchée par mon geste. Elle me regarda ensuite avec ces yeux que je ne saurais toujours pas décrire, capable de percer mon âme et d’arrêter le temps autour de moi. Tout allait pour le mieux à ce moment-là. Nous sommes restés quelque temps, allongés sur ce grand lit, à refaire le monde, à dire des bêtises et à rigoler. Cette matinée rien qu’avec elle me confirmait mon envie de passer le restant de mes jours à ses côtés. Ainsi, lorsque nous avions terminé notre petit-déjeuner et que nous nous apprêtions à quitter l’appartement, j’enfilai mon manteau rouge tout en prenant soin de vérifier que la bague était toujours dans ma poche.

La dernière fois que Marie était dans cette chambre, c’était un vendredi matin. Le même vendredi où mon cœur a été brisé.


Ce souvenir me rendait plus déterminé que jamais pour passer à l’action. Mes paupières étaient lourdes et je ne tardais pas à somnoler. Bientôt, je rêverai d’un monde où Marie et moi sommes heureux, et une fois que je serai dans cet univers merveilleux, je prendrais contrôle de ce rêve pour me tuer et ainsi y rester pour l’éternité. Sur cette ultime pensée, je fermai les yeux et me laissai emporter par le sommeil pour ce qui serait, je l’espère, mes derniers instants dans ce monde.

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