I have a dream (1/8)

Posted by Antoine Delia on Wednesday, October 18, 2017

C’est un vendredi que mon cœur a été brisé. Il faisait froid dehors comme n’importe quel jour d’hiver. Mais ce n’était pas n’importe quel jour pour moi. Aujourd’hui, j’allais demander la fille que j’aime le plus au monde de m’épouser. Nous nous sommes rencontrés lors de mon premier jour en tant que professeur. J’ai toujours voulu enseigner depuis mon plus jeune âge et j’adorais l’idée de partager mes connaissances à d’autres personnes pour qu’elles puissent apprendre de nouvelles choses. Là où je m’y connais le plus, c’est en biologie. Le corps humain me fascine de par sa complexité et mon but est de simplifier cela pour mes élèves. J’avais ainsi passé les quelques semaines avant ma rentrée à préparer mes cours, chapitre par chapitre, sans oublier le moindre petit détail. J’avais tout mis en œuvre pour qu’ils apprennent le plus possible, en évitant de les endormir dès la première phrase. Une fois que j’avais tout préparé, je me suis entraîné des dizaines de fois à parler seul dans ma salle de bain, m’imaginant face à une trentaine d’élèves. Les jours passèrent et sans crier gare, le lundi de la rentrée venait déjà toquer à ma porte. Je me sentais prêt.


“Vous êtes arrivé.” La voix de mon GPS répétait cette phrase depuis cinq minutes. J’étais effectivement arrivé à destination, mais je suis resté dans ma voiture, à regarder les aiguilles de ma montre tourner en rond. Je me suis finalement résolu à sortir après avoir vu quelques bus remplis d’élèves se garer. Je claquai la portière de ma voiture pour me retrouver face à ce lycée si imposant. Il n’était pas des plus modernes, mais je sais que j’aurais pu tomber sur pire. Je regardais les lycéens qui se dirigeaient avec paresse vers l’entrée et je sentais le stress m’envahir. Il faut dire que j’étais un prof très jeune. J’avais réussi mes études avec brio et j’étais déjà en train de travailler du haut de mes 22 ans, à peine plus vieux que les élèves de ma classe. Le doute m’envahit alors. Serais-je à la hauteur ? Non, il fallait que je balaie ces craintes. J’y arriverai coûte que coûte. Je pris une grande inspiration et mes jambes se mirent à avancer vers le portail d’entrée. Des souvenirs de mon enfance ressurgirent, notamment la première fois où j’avais pensé à devenir professeur. Mon moi enfant serait fier de voir que j’y suis finalement arrivé. Je continuais d’avancer quand ma vision périphérique remarqua quelque chose. Une jeune fille, qui semblait être un peu trop âgée pour être lycéenne, était adossée contre le mur, et fixait du regard la foule d’élèves entrer dans l’enceinte du lycée. Sa longue chevelure blonde rayonnait au soleil et la mettait plus en valeur qu’elle ne l’était déjà. Son nez en pointe arborait autant de taches de rousseur qu’il y avait d’élèves. Elle avait un charme qui était impossible à décrire. Elle me faisait penser à un coucher de soleil en pleine mer. Cette beauté si rare et qui, même si vous ne l’apercevez que quelques minutes, vous retourne le cœur. Je suis quelqu’un de très timide et je ne me voyais absolument pas m’approcher d’elle pour lui parler, et rien que cette idée me donnait la chair de poule. Mes jambes en avaient décidé autrement et voilà que je me retrouvais à marcher droit vers elle. C’est comme si on me contrôlait à distance. Un ange gardien peut-être ? Cupidon ? Plus la distance se réduisait entre elle et moi, plus je sentais mon cœur accélérer dans ma poitrine, comme s’il voulait s’échapper à tout prix. Je ne pouvais plus rien faire maintenant. J’étais désormais à quelques centimètres d’elle. Curieuse de voir qui s’était autant approché, son regard se porta désormais sur moi. Vous savez, en tant que professeur, j’ai dû étudier beaucoup de matières différentes avant d’avoir mon diplôme et notamment le français. J’ai passé des nuits entières à étudier encore et encore la poésie, les récits et tout le vocabulaire utilisé par les plus grands auteurs de ce monde. Malgré ça, je ne saurais décrire fidèlement les yeux de cette fille. Je pourrais vous dire qu’ils sont d’un bleu perçant, capable de vous transporter d’un seul regard et de vous faire oublier tous vos problèmes. Mais cela ne leur rendrait pas justice. Je pourrais passer des journées entières à plonger au plus profond d’eux jusqu’à ce que la noyade me fasse oublier leur beauté. Elle me regardait toujours et commençait à se demander quel était mon problème. Je repris mes esprits et dit la première chose qui me vint en tête.

“Bonjour. Euh, vous enseignez ici ?” Ses sourcils se levèrent de surprise face à ma question. “Tu trouves vraiment que j’ai une tête de prof ? Non je suis venue amener mon frère parce que mes parents étaient occupés aujourd’hui. Ils travaillent tout le temps et c’est toujours moi qui dois m’occuper de lui. J’ai dû me lever à sept heures ce matin, non mais tu te rends compte ?” Cette fille ne s’arrêtait plus de parler. Et elle me tutoyait en plus de ça ! “Et toi alors ? Ne me dis pas que t’es prof’ ? T’es beaucoup trop mignon pour ça.” Mignon ? Est-ce que cette fille était en train de me draguer ? Au lieu de répondre quelque chose, j’étais planté là, tel un épouvantail dans un champ, à la seule différence que je ne faisais peur à personne, et encore moins avec mes joues qui étaient devenues aussi rouges que des tomates. “T’es pas bavard comme prof. Si une fille comme moi t’intimide, qu’est-ce que ça va être devant une classe de trente personnes ! Il va falloir travailler ça sinon tu vas te faire manger tout cru !” Elle fouilla dans son sac pour en sortir un stylo et un carnet. “Tiens, appelle-moi rapidement pour qu’on se voie et que je t’apprenne à être moins timide. Et gratuitement en plus, t’en as de la chance.” La sonnerie retentit pour indiquer que les premiers cours allaient commencer. “Allez au boulot, moi je retourne dormir. À plus tard.” Et elle s’en alla.

Lorsque je suis entré dans la classe, j’étais encore perturbé par ce qui venait de se passer. Je regardais le bout de papier qu’elle m’avait donné. Il y avait un numéro de téléphone avec son prénom sur le côté. Marie. J’avais du mal à le croire, et ce n’est pas mes expériences amoureuses qui me prouveront le contraire. La drague ce n’est pas pour moi et je n’ai jamais été en couple de ma vie. Et de voir une fille si belle me parler autant, j’en restais bouche bée. Un raclement de gorge provenant du fond de la salle me fit reprendre mes esprits. J’avais un cours à donner à ces élèves qui étaient aussi endormis que j’étais heureux. Mon premier jour ne pouvait pas mieux commencer.


Il m’a fallu attendre longtemps avant de me décider à lui envoyer un message. Je repoussai ce moment de jour en jour tellement l’idée de la voir me terrifiait. J’ai finalement pris mon téléphone et appuyé sur quelques touches, pour former un message qui ne risquait pas d’obtenir le prix Pulitzer. Je regardais le bouton “Envoyer” qui me faisait peur depuis tout à l’heure. Une fois que j’appuierai dessus il sera trop tard. Il ne fallait pas réfléchir. Mon doigt se posa dessus et se recula. Le message que j’avais tapé apparut dans une bulle pour me signaler qu’il avait bien été envoyé. Il ne me restait plus qu’à attendre. Après quelques minutes, mon téléphone vibra. Une notification. “Ok pour samedi, je serai au parc vers 15h on se rejoint là !” Elle avait accepté. Nous allions nous revoir ! Je me dirigeai alors vers mon placard pour choisir ce que j’allais porter et tomba nez à nez sur mon reflet dans le miroir. Je souriais comme un enfant.

Le parc de la ville était une très bonne idée comme lieu de rendez-vous. Tout pouvait me donner le sourire : le soleil qui rayonnait de mille feux, les enfants qui s’amusaient à jouer au foot avec deux pull-overs en guise de cage, ainsi que l’imposante fontaine, placée en plein milieu du parc, qui donnait vie au lieu. Pourtant j’avais la boule au ventre. J’allais revoir cette fille qui m’avait tellement marqué. Je ne savais ni ce que j’allais lui dire ni ce que je devais faire. Pendant un instant, j’hésitai à rentrer chez moi et passer à autre chose. Mais lorsque le destin veut quelque chose, il finit toujours par l’avoir. J’aperçus sa silhouette au loin, en train de marcher dans ma direction. “Désolée, je suis en retard. J’ai pas vraiment d’excuses, je suis juste en retard.”

Nous avons parlé tout l’après-midi, même si je dois avouer qu’elle a occupé 80% du temps de parole. J’ai appris à la connaitre. Elle s’appelle bien Marie, elle a 22 ans et est étudiante en école de commerce, ce qui explique son débit de parole. Elle m’a fait visiter la ville que je ne connaissais pas encore. Nous sommes revenus au parc vers 19 heures, fatigués d’avoir marché dans toute la ville. “C’était très sympa ! Il faut qu’on se revoie très vite, j’ai encore beaucoup de choses à te montrer !” dit-elle d’un ton très enthousiaste. “Oui je suis d’accord. Merci de m’avoir fait visiter, c’est super gentil.” Nous étions face à face, yeux dans les yeux. Un long silence s’installa. Ce n’était pas le genre de silence qui vous met mal à l’aise, mais celui de deux personnes qui n’ont pas besoin de parler pour se comprendre. Elle se rapprocha de moi, posa sa bouche sur ma joue et y laissa un baiser. “À très bientôt.” dit-elle, avant de s’en aller. À ce moment-là, quelque chose dans mon cœur s’étira. Une chaleur monta en moi avant de se répandre dans tout mon corps. Pour la première fois de ma vie, je ressentais la meilleure sensation au monde : l’amour.


Plusieurs rendez-vous ont suivi. Nous sommes souvent retournés à ce parc ; puis dans un bar ; puis dans un restaurant. Un soir, alors que nous avions passé toute la journée ensemble, je la raccompagnai jusqu’à chez elle. Nous marchions l’un à côté de l’autre quand nous sommes arrivés à l’intérieur du parc. C’était un raccourci pour aller jusque dans sa rue. Alors que nous étions juste à côté de la fontaine, je m’arrêtai : “Tu te rappelles de notre premier rendez-vous ?” Elle avait l’air étonné par ce que je venais de dire. “Oui bien sûr, comment oublier une journée pareille ?” Je regardai au sol. Toutes ces journées passées avec elle. Tous ces moments partagés ensemble. Je devais lui dire. “Je suis vraiment content qu’on passe du temps ensemble.” Ma voix tremblait de peur. C’était la première fois que j’allais déclarer mes sentiments. Elle se rapprocha de moi. “Moi aussi, je suis très heureuse quand on est ensemble.” Je levai la tête, surpris de son commentaire. Mes yeux étaient en train de devenir humides et mes lèvres tremblaient légèrement. “Vraiment ? Je veux dire, je sais que je ne parle pas beaucoup…” Elle s’approcha de moi. “Et je sais que ça peut être pénible, mais voilà…” Je ne la quittais pas des yeux alors que sa bouche s’approcha de mon visage. “J’aime me balader, manger et  rigoler avec toi, et je voulais juste te dire que…” Ses lèvres étaient maintenant posées sur les miennes, m’empêchant de terminer ma phrase. Le temps s’est arrêté à cet instant, nous laissant ensemble dans un moment de douceur et d’amour. Le silence régnait autour de nous, mais une phrase résonnait à travers nos cœurs : je t’aime.


C’était dans ce parc que tout a commencé, et c’est ici que tout s’arrêta. Après quatre années passées à ses côtés, j’ai décidé de la demander en mariage. Je ne pouvais tout simplement pas imaginer ma vie sans elle. Je l’ai amené dans ce parc, lieu de notre premier rendez-vous. Il faisait froid et j’avais mis mon manteau rouge. Je l’aime particulièrement, car en plus de tenir chaud, il dispose de très grandes poches. Idéal pour mettre en sécurité la bague que je lui ai achetée il y a quelques jours. Comme à l’époque, elle se tenait devant moi, sans rien dire. Ses yeux azur me transperçaient et me rappelaient chaque jour la chance que j’avais d’être avec elle. Mon genou droit toucha le sol glacé alors que ma main droite s’éclipsa un instant dans ma poche. Elle ressortit quelques instants plus tard avec à son bout le symbole de notre amour. “Marie, veux-tu m’épouser ?” Tout était parfait, comme je l’avais imaginé. La neige tombait encore, rendant ce moment encore plus romantique. Mais quelque chose n’allait pas. Pour la première fois depuis que je la connaissais, Marie ne disait rien. Elle était devenue muette. Ses yeux se portèrent sur la bague, puis sur moi, pour enfin revenir sur la bague. Sans dire un mot, elle se tourna et s’en alla. Me laissant seul. J’étais comme gelé sur place, mais la neige n’en était pas la raison. Mon cœur ne savait plus quoi faire. Il battait tellement fort il y a quelques instants pour au final ralentir encore et encore. Il était mort, mais j’étais encore en vie.

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